C’est toujours risqué de s’attaquer à Gauvreau, surtout si on a la fâcheuse manie de le mettre sur un piédestal, de plaquer son œuvre sur sa biographie et d’aborder ses textes comme des manifestes prophétiques. Heureusement, Martin Faucher s’est gardé de commettre l’une ou l’autre de ces fautes, et a concocté un spectacle drôle, touchant, beau, grinçant, rythmé, foisonnant, dénudé, poétique et polémique… bref, parfaitement «exploréen» !
Reprenons du début. Que contient l’œuvre de Gauvreau ? Une muse suicidée, un poète maudit entre l’agonie et la folie, au moins un critique lèche-bottes, des artistes parvenus sans talent, un jeune disciple utopiste et tout un cortège de poseurs profiteurs. Le tout empreint de verve poétique, qui devient parfois abstraction, du genre «almazadacherublin cossemurabaudrette syl finfour», et d’un fort esprit critique à l’égard de la société québécoise et de ses artistes. Pour marquer cet aspect, plutôt implicite chez Gauvreau, Faucher a décidé d’ouvrir le spectacle par le poème Speak White, un hymne revendicateur composé en 1968 par Michèle Lalonde.
Ici, le poète se nomme Donatien Marcassilar, interprété avec un heureux mélange d’humour et de conviction par Hugues Frenette (qu’on avait pu voir en Cyrano l’an dernier). Il décide de se laisser mourir de faim et d’amour en mémoire d’Édith Luel (Klervi Thierpont, un peu criarde, mais tellement jolie dans les costumes de Tania Ouellet qu’on lui pardonne). Le jeu est vif, précis, toujours surprenant. Sur scène, défilent tantôt d’arrogantes cartes de mode, tantôt le sosie de Mononc Roger… Le metteur en scène a titré son travail «Le carnaval du mauvais goût», et tous les concepteurs y ont mis du leur pour que le visuel et le ton du spectacle se renouvellent sans cesse. Au premier acte, un groupe d’androïdes monochromes discutent dans un décor couvert de plastique noir. Au second, la famille de Donatien (habillée par le Village des Valeurs) défile sur la scène de bois franc couverte de chaises pêle-mêle. La femme fatale est interprétée par le très viril Frédérick Bouffard, et tout au long de la représentation les personnages se jettent dans une fosse à l’avant-scène en poussant des cris surréalistes.
Le tout peut être déstabilisant (une vingtaine de personnes ont quitté au cours du spectacle), mais a le mérite d’être intéressant jusqu’à la dernière seconde. Tonique et saisissant !