Dès que l’on passe le pas de la porte de la salle d’exposition du pavillon Alphonse-Desjardins, on se fait interpeller par trois visages, trois regards qui flottent dans la pénombre de la galerie.
Ils appartiennent à Lucie, Roland et Raoul, dont les traits ont été capturés par l’appareil numérique de l’artiste Éloïse Plamondon-Pagé, pour son exposition « Marge ». Elle a sérigraphié les portraits sur neuf morceaux rectangulaires en géotextile qui sont disposés dans la galerie en trois rangées, une pour chaque sujet. Chaque rangée doit être prise comme une œuvre entière, et non une série dont la mise en espace serait particulière. Il s’agit donc de trois portraits photographiques avec une profondeur.
Puisque le géotextile laisse passer la lumière, les portraits démultipliés puis mis en ligne créent une tension entre transparence et floue. Dépendamment de notre position dans la salle d’exposition, les visages nous apparaissent très détaillés, ou fantomatiques. Au lieu de nous figer devant trois portraits pendant 10 minutes en ayant l’air de plonger en transe tantrique d’art contemporain, nous sommes invités à bouger, à interagir avec ces trois visages. Ainsi, on passe entre les rangées, dans les marges de l’œuvre, comme dans un mémorial aux morts pour tenter de mieux connaître ces trois personnes. Parfois on a l’impression que les portraits se mélangent, comme un souvenir qui se brouille avec un autre. Plus qu’une métaphore, le brouillage des traits est réel. La grande qualité des détails du numérique est court-circuitée par l’imperfection de la fibre du géotextile. Une métaphore visuelle pour la fragilité de nos mémoires. On peut même faire frémir cette vulnérabilité. Le moindre déplacement crée un courant d’air qui fait voleter les visages immobiles, comme des draps mortuaires qui n’attendent qu’une impulsion pour reprendre vie.
C’est un environnement poétique qu’Éloïse Plamondon-Pagé propose jusqu’au 22 novembre. Grâce à une mise en espace simple, mais pas simpliste, les trois œuvres invitent à une contemplation interactive. La frontalité traditionnelle du portrait est brisée en faveur d’une exploration de la marge, du vide entre ces linceuls photographiques. On fait plus que soutenir le regard de Lucie, Roland et Raoul, on s’y enfonce.