Contrôle de l’image

Médard Mini Mini, étudiant en journalisme, était muni de son appareil photo lorsqu’il a croisé le candidat péquiste Neko Likongo lors de la dernière campagne électorale provinciale. Bien qu’il ait demandé la permission de tirer son portrait, trois agents du SSP se sont interposés en l’interrogeant pour savoir s’il avait une autorisation. Ils lui ont demandé de leur fournir une pièce d’identité et l’ont sommé de supprimer les photos qu’il avait prises.

Le directeur du Département d’information et de communication, Guy Paquette, a participé à des discussions avec le SSP à ce sujet. Il s’interrogeait à savoir «sur quelle base les gens du SSP pratiquaient de telles interceptions», d’autant plus qu’il connaissait l’inexistence d’un règlement à cet effet. Cependant, selon les récits qui sont parvenus à ses oreilles, les cas se sont faits beaucoup plus rares : «J’ai l’impression qu’on a dû contrôler la situation», ajoute-t-il, attribuant les plus récentes occurrences à des excès de zèle.

Rallye sous surveillance
Plus récemment, des étudiants du Regroupement des associations étudiantes de la Faculté des Lettres (RAFaL) qui participaient à la compétition de rallye photo des Jeux inter-facultaires ont été avertis par des agents du SSP. Et ce, malgré le fait que le tout se déroulait dans le cadre d’une activité organisée par la CADEUL, qui avait préalablement demandé une autorisation. «Dans la semaine pré-jeux, je pense qu’il y a eu deux cas», relate Barbara Poirier, nouvelle présidente de la CADEUL. Les étudiants interceptés pendant cette période portaient le t-shirt aux couleurs des jeux et de l’association
étudiante.

Madame Poirier a également eu vent de cas concernant des étudiants en communication publique qui réalisaient des reportages dans le cadre de leurs cours. «Plusieurs membres sont venus nous voir, atteste-t-elle […] Il y a eu certains abus de la part du SSP, leur interprétation est un petit peu restrictive», poursuit-elle à propos de ce qu’elle qualifie de «culture de méfiance du SSP envers les étudiants». La Confédération a adressé une demande de précisions au SSP, qui est resté évasif sur le sujet, au dire de sa présidente. «Il faut savoir c’est quoi exactement le règlement, parce que présentement, ce n’est pas clair.» La présidente du regroupement dit cependant rester aux aguets, alors que des plaintes provenant d’étudiants continuent d’être envoyées à la CADEUL.

Une règle non écrite
Selon Martin Guay, de la Direction des communications de l’UL, il existe une directive quant à la prise d’images sur le campus. «Concrètement, on demande d’obtenir une autorisation au moins une semaine à l’avance pour s’assurer que le propos est correct», dit-il, expliquant que cette démarche s’inscrit dans le but de protéger la vie privée des étudiants et de préserver la réputation de l’Université.

La directive mentionnée par M. Guay émane de la Direction des communications et se nomme Autorisation de tournage sur le campus. Cette directive ne concerne que les cas de tournage dans les salles de classe et dans les laboratoires ainsi que dans le cadre les films ou les documentaires. En aucun cas il n’est fait mention de la photographie, ce que M. Guay confirme: «La directive manque de précision et de clarté, et on doit la préciser afin qu’elle soit plus claire pour tout le monde».

Cela revient donc à dire que les étudiants doivent obtenir une autorisation pour prendre des photographies à l’Université, même si aucune directive ni règlement officiel ne l’affirme. Au dire de Martin Guay, la directive citée ci-haut est celle que les agents du SSP ont à appliquer. Ainsi, les agents ont la responsabilité de faire respecter une consigne arbitraire dont les termes sont vagues et ne concernent pas directement la photographie.

Hélène Côté, directrice des des communications de l’UL, prévoit éclaircir la situation sous peu :«La Direction des communications a pour mandat d’établir dans la prochaine année une politique de communication. […] Dans cette politique, il y aura des lignes directrices qui concerneront les tournages et la prise de photographies».

Aucune interdiction légale
Interrogé au sujet de la réglementation existante, Sylvain Dufour, conseiller juridique principal et adjoint au Bureau du secrétaire général de l’Université Laval, est clair : «C’est le droit du Québec qui s’applique, il n’y a rien de particulier à l’Université». Strictement parlant, les lois s’appliquant sur la prise de photographies sur le campus sont celles sur le droit à l’image, sur la protection de la vie privée et sur le droit d’auteur. «Si c’est dans un lieu public, c’est protégé d’une certaine façon», ajoute-t-il, en rappelant l’arrêt de la Cour suprême Aubry contre Éditions Vice-Versa, en 1998. Le jugement confirme que le droit à l’image d’une personne la protège contre la diffusion d’une photo pour laquelle elle n’a pas donné son consentement. Cependant, ce droit ne s’applique pas dans une situation où la personne apparaît dans le contexte d’un événement d’intérêt public ou comme élément d’un décor (par exemple, dans une photographie d’un paysage ou d’un monument). De plus, ce droit ne s’applique qu’aux personnes physiques et ne peut être étendu à l’Université Laval, qui au sens de la loi est une personne morale.

Le droit à la vie privée est plus délicat dans cette situation. «Nous n’avons pas le droit de dire si un étudiant est inscrit à l’Université Laval», précise Sylvain Dufour. L’UL s’appuie sur le droit à la vie privée des étudiants pour faire valoir sa directive.

Cependant, au dire de M. Dufour, il s’agit là d’une situation particulière, surtout dans des endroits où peuvent se trouver des gens qui ne font pas partie de la communauté universitaire, comme dans le pavillon Desjardins ou simplement dans les rues du campus. Une autre contrainte concernant les photographes leur impose d’obtenir la permission du détenteur des droits d’auteurs lors de la diffusion d’une photographie représentant une sculpture, une oeuvre d’art ou une oeuvre architecturale. Toutefois, il semble qu’aucun de ces trois domaines du droit n’interdise la photographie à l’UL, dans la mesure où les photographes se cantonnent aux lieux publics et obtiennent l’autorisation de leurs sujets.

Il a été impossible de parler avec la direction du SSP concernant l’application d’un règlement qui n’existe pas, ces derniers référant Impact Campus à la Direction des communications.

Avec la collaboration de Dominique Talbot

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