Au Canada, l’image est typique, presque pittoresque : des milliers de lacs recouvrant le territoire et de longs fleuves découpant le paysage. Ces images font partie du folklore local et donnent aux Canadiens l’impression que l’eau est une ressource inépuisable. Pourtant, le risque de voir l’eau manquer dans certaines parties du pays n’est pas qu’onirique. Dans une entrevue publiée le 22 mars dernier dans La Presse, Marc Hudon, directeur du programme «Saint-Laurent/Grands Lacs» à Nature Québec, affirmait que l’abondance de l’eau au Canada est un mythe. «Chaque fois que l’on ouvre le robinet, l’eau coule. On a l’impression qu’il n’en manquera jamais», analyse-t-il, avant de rajouter que plusieurs villes commencent déjà à manquer d’eau. «On le voit en Ontario, où des villes comme London et Windsor ont eu des pénuries d’eau lors de périodes de canicules». M. Hudon craint également que «la répartition de l’eau devienne de plus en plus problématique dans le secteur du fleuve et des Grands Lacs». Cette réflexion soulève les questions du partage, de la gestion et de l’utilisation de la ressource, par les États et par les populations en Amérique du Nord.
Les projets de transferts massifs
Depuis la fin des années 1950 et jusqu’au milieu des années 1980, les États-Unis ont projeté à plusieurs reprises de transférer des quantités considérables d’eau à partir des fleuves canadiens dans le but d’irriguer leurs terres agricoles. Les deux projets les plus importants furent le North American Water & Power Allicance (NAWAPA), en 1959, et le North American Waters, en 1968, dont les dérivations annuelles respectives représentaient des centaines de milliards de mètres cubes d’eau. Les coûts exorbitants des travaux pour en arriver à une telle finalité ont eu raison des velléités des promoteurs de l’époque.
D’après Frédéric Lasserre, professeur de géographie à l’Université Laval et directeur de l’Observatoire de recherche international sur l’eau (ORIE), il est pratiquement impossible que ce type de projet refasse surface aujourd’hui. «Il n’y a pas eu de demandes officielles des États-Unis depuis une cinquantaine d’années, et même s’il y avait une demande, elle se heurterait à la même réalité qu’à l’époque, soit celle qu’un tel projet coûte une fortune. Étant donné l’état des finances publiques, je ne vois pas très bien qui paierait la facture». Il ajoute qu’il est encore plus sceptique concernant le bassin des Grands Lacs, puisqu’une une loi américaine a été votée récemment, renforçant la coopération entre les États riverains des Grands Lacs et interdisant les transferts d’eau.
Ratifié par l’ex-président américain George W. Bush en octobre 2008, le «Pacte sur les ressources en eau du bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent» implique les huit États américains riverains des Grands Lacs, ainsi que le Québec et l’Ontario. Au Canada, ce texte n’a pourtant pas valeur d’entente entre les provinces et le fédéral, étant donné que le gouvernement Harper ne l’a pas entériné. Toutefois, Marc Hudon croit en l’efficacité de ce genre d’accord, «parce que ça donne au Québec un droit de regard sur ce qui se passe en amont, en échange de leur droit (des États riverains des Grand Lacs) de voir ce qu’on fait avec nos propres eaux».
Des solutions pour préserver
Pour autant, ces accords ne seront pas suffisants si les citoyens nord américains ne changent pas leur façon de consommer.
Actuellement, le Canada et les États-Unis sont les deux pays au monde utilisant le plus d’eau quotidiennement per capita. L’une des raisons principales de cette situation est le système de tarification. Dans la plupart des foyers canadiens, le tarif n’est pas volumétrique, donc égal à la consommation réelle. Il est plutôt stable et fixé par le biais des taxes municipales. Ce qui ne constitue qu’un faible incitatif à une gestion raisonnable de la ressource. «La consommation d’eau s’explique par le système de paiement de l’accès à l’eau et non de sa consommation. Ce n’est pas le principe de l’utilisateur-payeur, c’est le principe d’accesseur-payeur», analyse Yoann Combe, étudiant à la maîtrise en géographie à l’Université Laval et membre de l’ORIE.
Pour Frédéric Lasserre, plusieurs solutions sont possibles pour améliorer la gestion domestique de l’eau, dont l’éducation de la population et la mise en place de règlements municipaux coercitifs. «Grâce à l’éducation des populations, au fur et à mesure que les générations passent, les populations prennent de nouvelles habitudes, explique-t-il. Ça peut se faire par toute une série de mesures réglementaires. La tarification volumétrique n’est qu’une des options. Il y a aussi la réglementation des usages par la police de l’eau. Par exemple, dans certaines périodes de l’année, on interdit certains usages, comme le nettoyage des autos, etc». Enfin, Yoann Combe estime que «faire payer les excessifs (par la tarification volumétrique) serait quelque chose d’acceptable socialement et politiquement. Ça demande de la volonté de la part du gouvernement. Et le Québécois lambda qui fait un minimum d’effort ne serait pas affecté. Par contre, celui qui en abuserait largement prendrait ses responsabilités et il contribuerait au financement de l’eau.»