Frédéric Bastien, historien et professeur au Collège Dawson, est venu à l’Université afin de présenter son ouvrage controversé, La Bataille de Londres, qui aborde les coulisses du rapatriement de la Constitution canadienne en 1982, un livre qui déchaîne les passions depuis sa parution.
La Bataille de Londres est le fruit de près de huit ans de travail de la part de son auteur qui s’est notamment rendu à Londres afin de consulter les archives du Ministère des Affaires étrangères de la Grande-Bretagne et du Conseil privé britannique.
Parmi ce que nous apprend le livre, on découvre que la première ministre britannique de l’époque, Margaret Thatcher, était ouverte à l’idée de l’indépendance d’un Québec souverain qu’elle aurait reconnu. On apprend aussi que son ambassadeur au Canada avait peu confiance en Trudeau, il était vu comme « un voyou arrogant en mesure de donner des coups en bas de la ceinture ».
Thatcher aurait d’ailleurs été réticente à l’égard d’une Charte des droits et libertés telle que voulue par Trudeau qui s’est concrétisée dans la constitution de 1982 et qui s’est principalement définie par les juristes. Thatcher estimait en effet que c’était aux élus parlementaires issus de diverses couches de la société de définir de tels droits et non les juristes provenant généralement de milieux aisés.
Pourtant, la première ministre appuiera le projet constitutionnel de Trudeau. Le Canada, étant membre de l’OTAN, est un des principaux alliés de la Grande-Bretagne. De plus, malgré la méfiance de Thatcher à l’égard du premier ministre libéral, la complicité entre les deux chefs d’État sera cruciale dans la concrétisation du projet de Trudeau et dans la signature de la Loi constitutionnelle de 1982.
Cependant, la principale révélation de l’ouvrage vient du fait qu’il dévoile l’ingérence de la Cour suprême du Canada et notamment de son juge en chef, Bora Laskin, sur le pouvoir exécutif à la fois canadien et britannique. En effet, en juin 1980, Bora Laskin se retrouve à Londres dans le cadre de ses vacances, en même temps que Trudeau et ses conseillers. Ceux-ci tentent alors de négocier le projet constitutionnel.
Des documents révèlent d’ailleurs que durant les mois de juin et de juillet 1981, le juge en chef Laskin aurait eu des contacts avec le procureur général pour l’Angleterre et le Pays de Galles, Michael Havers, chargé par Thatcher de piloter le projet de rapatriement de la constitution. Il aurait également eu des contacts avec le greffier du Conseil privé du Canada, Michael Pitfield, bien que, durant cette période, il y ait eu une division parmi les juges de la Cour suprême par rapport aux volontés politiques de Trudeau.
De manière plus générale, le livre affirme que le haut juriste aurait transmis des informations confidentielles aux gouvernements du Canada et de la Grande-Bretagne par rapport aux délibérations de la Cour suprême en ce qui concerne ce projet de rapatriement constitutionnel.
Or, comme l’affirment les défenseurs du livre de Frédéric Bastien, dont le ministre péquiste aux affaires intergouvernementales, Alexandre Cloutier, dans une lettre publiée dans La Presse en date du 4 mai 2013 et confirmée dans le jugement de la Cour suprême canadienne Beauregard C. Canada de 1986, le pouvoir judiciaire se doit dans toute bonne démocratie d’interpréter et de prendre des décisions concernant la constitution indépendamment du pouvoir exécutif selon le principe de séparation des pouvoirs.
Les principales critiques de Frédéric Bastien affirment que son interprétation des sources n’est basée que sur du « ouï-dire ». Le chroniqueur André Pratte aurait d’ailleurs reproché à Frédéric Bastien de tenter de réécrire l’histoire.
Cependant, le professeur estime que les documents sur lesquels est basée son étude démontrent une partialité chez les juristes de la Cour suprême, alors qu’ils devraient être impartiaux, du moins en apparence.
Ainsi, selon l’auteur, ces sources ne peuvent être que du « ouï-dire, » parce que certains documents se révèlent être des preuves tangibles. Frédéric Bastien questionne finalement l’inaccessibilité de certaines archives fédérales par rapport à cette question.
En avril dernier, en vertu de la Loi canadienne de l’accès à l’information, le gouvernement québécois a tenté d’accéder à ces sources fédérales afin d’éclairer cette période menant au rapatriement de la constitution, ce que le gouvernement fédéral de Stephen Harper a refusé.