Avec l’occupation de la Crimée et un possible référendum sur l’annexion de la région, les projecteurs du monde entier sont braqués sur la Russie et sur son dirigeant actuel, Vladimir Poutine. Non seulement il défie l’Occident, mais il consolide avec assurance son pouvoir dans la région.
Yascha Wecker
Les actes du dirigeant russe mettent encore une fois en lumière sa vision de la géopolitique et ravive les craintes d’un retour en force d’une Russie motivée par des rêves de grandeur ancienne.
Quand l’Union soviétique s’est écroulée en 1991 sous le poids de sa propre bureaucratie et de son économie défaillante, la Russie a clos un chapitre difficile de son histoire. Pourtant, Vladimir Poutine n’a pas hésité à réveiller des souvenirs douloureux en lien avec cette période historique. Encore en 2005, il a exprimé sa nostalgie en qualifiant la disparition de l’URSS comme « le plus grand désastre géopolitique du XXe siècle. »
La décision du président russe d’envahir la région de Crimée, au sud de l’Ukraine, n’a pas tardé à provoquer des accusations d’impérialisme et d’ambitions soviétiques. Dans sa première apparition publique depuis le début de la crise ukrainienne, l’ancien président de l’Ukraine, Viktor Iouchtchenko, a déclaré sur la chaîne Europe 1 que Poutine « veut faire renaître une sorte de nouvel empire, une nouvelle URSS qui porterait le nom de la Russie. C’est un plan obsessionnel ».
Faire renaître la « grandeur » passée
L’occupation de l’Ukraine semble faire partie d’une vision géopolitique plus large de Vladimir Poutine et de son entourage. Certes, les idées d’empire et d’Union soviétique semblent bien loin aujourd’hui, et on s’imaginerait mal un retour à cette époque. Pourtant, le dirigeant russe ne cesse d’alimenter la « grandeur » de la Russie, que ce soit par les Jeux olympiques de Sotchi ou en étendant son influence politique et économique dans la région.
Depuis la fin de la Guerre froide, la Russie tente à tout prix de garder une influence politique sur ses pays voisins. Selon Daniel Caron, associé à l’Institut des hautes études internationales (HEI) de l’Université Laval, la Russie s’est entre autres activement impliquée dans les présidentielles de 2004 en Ukraine pour s’assurer que le candidat prorusse Viktor Ianoukovitch soit élu. « L’année 2004 est importante en Ukraine, mais également dans la région. C’est vraiment là que les efforts pour conserver l’influence de la Russie dans la région ont été plus clairs de la part de Poutine », explique-t-il. Pour sa part, la Biélorussie est encore aujourd’hui entre les mains d’un dirigeant prorusse, Aleksander Loukachenko, souvent qualifié de « dernier dictateur d’Europe ».
Sur le plan économique, la Russie s’est impliquée en vue de créer une union économique entre les anciens satellites de l’URSS. En 2010, Poutine inaugure une union douanière qui regroupe la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. Enfin, le pays n’hésite pas à utiliser l’arme énergétique comme un moyen de pression politique sur les pays avoisinants.
Une vision démodée ?
Les idées de grandeur de la Russie évoquent pour certains une vision de la géopolitique qui est démodée. « C’est basé sur une vision de la géopolitique du XIXe siècle : quiconque contrôle une certaine quantité de territoire a plus d’influence. Mais ça ne fonctionne plus comme ça au XXIe siècle. L’influence vient du pouvoir économique et militaire, et la Russie n’en possède pas autant », soutient Bohdan Harasymiv, coordonnateur du Centre d’études politiques et régionales à l’Université de l’Alberta.
Selon Taras Kuzio, expert des politiques post-communistes, le dirigeant russe actuel entretient une vision simpliste du monde : « Pour Vladimir Poutine, les relations internationales sont un jeu à somme nulle : soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous ». Pour Daniel Caron, les tentatives de Vladimir Poutine s’inscrivent simplement dans une logique de blocs moderne : « Il y a des blocs régionaux, qui se sont formés, et Poutine aimerait bien former son bloc régional pour protéger les valeurs et les intérêts de la Russie dans la région ».
Les ambitions du président Poutine se heurtent aux intérêts de la plupart des grandes puissances occidentales. Mais plus important encore, elles se heurtent souvent à la vision des peuples qui vivent dans les anciennes républiques soviétiques et qui souhaitent déterminer leur propre avenir. Sans cohésion, il ne serait pas surprenant si, à l’image des Ukrainiens, les peuples soumis au dictat de Moscou avaient le désir, tôt ou tard, de se révolter.