Si l’on traduit littéralement le mot « pays » en mandarin, on obtient les mots guo (État) et jia (famille). Cette association reflète bien l’aspect familial de la société chinoise, qui accorde une importance marquée à ce premier cercle de relations. Au cœur de la tradition familiale, le concept de piété filiale, une sorte d’échange entre les générations. En Chine, beaucoup de parents sont prêts à se sacrifier pour assurer un futur prospère à leurs enfants, mais ils s’attendent à recevoir en échange le soutien de leur progéniture quand leurs vieux jours viendront. C’est pourquoi on peut dire que dans ce pays, les enfants (surtout les garçons) représentent un excellent fond de pension!
Cette semaine, j’ai eu le plaisir de rencontrer à Beijing madame Du Jing, guide de voyage francophone d’origine chinoise. Mère de famille, elle marche comme un funambule entre les conceptions modernes et plus traditionnelles de la famille chinoise.
Cette femme qui vogue dans la trentaine habite avec son mari et sa fille en campagne, non loin de Beijing. Ils sont propriétaires d’un appartement de 53 mètres carré, au cinquième étage d’un immeuble à logement. L’appartement compte une toilette, une cuisine, deux petites chambres et un salon. À l’intérieur vivent aussi les beaux-parents de Du Jing, qui s’occupent de sa fille pendant ses heures de travail.
À une autre époque, les mariages chinois étaient arrangés au gré de la volonté des parents. S’unissaient alors les jeunes femmes, souvent âgées d’environ 17 ans, et les adolescents d’environ 13 ans. La femme devait d’abord obéissance à son propre père, puis à son mari. Confinée au foyer, elle exécutait les tâches domestiques et s’occupait des enfants. Si elle devait rester fidèle, rien n’empêchait l’homme d’avoir plus d’une femme. Côté travail, il lui était impossible de passer les tests d’entrée dans la fonction publique. À l’arrivée au pouvoir de Mao Zedong en 1949, une importante réforme a progressivement mis fin aux mariages arrangés et l’influence occidentale a lentement répandu l’idée d’un mariage fait d’amour et d’eau fraîche.
C’est donc par amour que Du Jing s’est mariée. Après trois ans de fréquentation, le couple s’est uni dans une humble cérémonie organisée dans son village natal. Les voisins, les voisins des voisins, les amis, la famille; tout l’entourage des amoureux était invité à un banquet à l’hôtel du coin. Du Jing croit que c’est parce qu’elle a pris le temps de bien connaître son homme qu’elle n’a pas divorcé, contrairement à une proportion montante de la population.
Avec son français chantant, la guide touristique explique que la tradition veut que les parents du père des enfants s’installent dans le nid conjugal pour s’occuper des enfants. Quand ses beaux-parents se sont installés dans son appartement, la façon dont ils élevaient sa fille ne lui plaisait pas toujours. Du Jing a cependant pu compter sur la bonne relation qu’elle a établie avec eux pour discuter des différents. Elle s’attend à ce que les parents de son mari fassent bientôt place à ses propres parents afin d’éviter de nouveaux conflits.
En plus de son travail, Du Jing gère tout ce qui touche au foyer. Cette femme au sourire facile s’occupe des enfants le soir, paie les factures, fait le ménage, prépare la nourriture, etc. Chaque matin, elle fait plus d’une heure de route pour arriver au centre-ville, où elle anime souvent des groupes d’universitaires. De retour à la maison vers 19h, elle retrouve ses beaux-parents qui se sont occupés de sa fille toute la journée. Comme elle, son mari travaille beaucoup. Du Jing explique en souriant que la principale fonction de son mari, c’est de faire de l’argent. Il n’aurait de toute façon pas le temps de faire autre chose, ajoute-elle, puisqu’il part tôt le matin et revient vers 11h le soir, 5 jours par semaine.
Dans l’autobus qui nous conduit au Palais d’été, Du Jing raconte que ses parents avaient 7 enfants. Bien que ce soit loin d’être la seule raison qui explique l’imposante population chinoise, faut dire que ce pays a eu, lui aussi, son baby-boom. En effet, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Mao voyait d’un très bon œil l’expansion du peuple chinois. C’était selon lui une bonne manière de se protéger des intempéries de la guerre froide. Ainsi, dans le cas d’une explosion nucléaire, les pertes humaines auraient été selon lui négligeables.
Mais en 1953, les autorités chinoises s’inquiètent. Il faut de toute urgence contrôler l’expansion de la population en raison des défis que cela impose. C’est pourquoi trois ans plus tard, le Parti communiste lance la première d’une série de campagnes de contrôle des naissances. On distribue des contraceptifs, on facilite l’accès à l’avortement et on encourage la stérilisation des femmes. C’est seulement en 1979, que l’État instaure la célèbre politique de l’enfant unique. Sans ces politiques, la Chine compterait aujourd’hui, selon Du Jing, 400 millions de personnes en plus.
Même si Du Jing pouvait avoir un deuxième enfant, elle affirme que sa famille n’en a pas les moyens.
Au Québec, est-ce que nos familles pourraient encore se permettre d’avoir des familles nombreuses?