Le ton monte dans notre salle de rédaction juste après que l’une d’entre de nous apporte son
exemplaire de La Presse et du Soleil : lundi dernier, la page frontispice des quotidiens de
Gesca était remplacée par une pleine page de publicité pour un constructeur automobile. Trois
fois, cet été, le dessus de ces journaux arborait les éléments graphiques du journal ( l’en-tête
caractéristique, le code-barre, le prix, un bandeau pour les sujets chauds ) et, à la place de la
photo de Une, une publicité en bonne et due forme.
On parle de chiffres, on évoque les décisions prises par l’administration des journaux, et on
se dit « avec moi, ça ne passerait pas ». Cependant, on se rappelle que tout cela est hypothétique
et on n’ose pas penser à notre vraie décision si un publicitaire nous offrait une grosse somme.
Ça me faisait penser à la blague du type qui demande à une femme si elle coucherait avec
lui pour un million de dollars. « Bien sûr », répond-elle. Il lui demande ensuite si elle coucherait
avec lui pour deux dollars. « Mais pour quel genre de fille me prenez-vous ? », rétorque-t-elle.
« Ça, nous le savons », réplique-t-il, « c’est votre prix qu’il reste à trouver ».
Plus sérieusement, ce genre de coup-choc nous place au coeur du compromis publicitaire :
vous avez droit à un journal pour une fraction du prix qu’il a coûté à produire si vous acceptez
qu’une bonne partie de ce journal soit composée de publicité. Parfois, les quotidiens vendus
comptent plus de 50 % de publicité. Du côté des gratuits, on parle de près de 70 %.
Traditionnellement, il existait dans chaque média un mur invisible entre l’administration et
la rédaction. Cependant, les exceptions se multiplient. De plus en plus de nouvelles entreprises
de presse proposent à des annonceurs les services de leurs journalistes pour des reportages
commandités, des émissions spéciales présentées par des compagnies ou bien des publicités
montées par la même équipe de design que le magazine lui-même, afin de garder la même
touche. Et parfois, c’est la Une qui y passe.
J’aimerais pouvoir conclure en levant un poing en l’air et en blâmant la publicité, l’argent et
la société de consommation, mais le constat serait illusoire. En fait, c’est notre relation avec les
médias qui est tordue : on les considère comme des dûs, on ne peut concevoir que la production
d’un livre, d’un journal ou d’un site web puisse coûter plus que quelques dollars. Moins, en tous
cas, que le café du resto avec lequel on le lit. Si le journal ne s’établit pas comme un produit bien
distinct, il perd de sa valeur.
Si la révolution technologique a quelque chose de bon, c’est qu’elle vient raffermir cette distinction
entre le tangible et l’intangible tout en ajustant le prix que l’on paie. On achète sur
iTunes le nouvel album de U2 pour dix dollars, mais on tient à tenir dans ses mains un album
indépendant, peut-être vendu un peu plus cher. On lit Cyberpresse gratuitement au travail,
mais on garde le plus dispendieux journal du samedi pour lire tranquillement. On achètera
bientôt la version électronique du nouveau Dan Brown, mais les livres de table à café ne perdront
pas de part de marché.
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Je vous parlais un peu plus tôt du ratio publicitaire des médias écrits. Impact Campus est fier
d’en avoir un relativement bas, qui se situe en moyenne autour de 35 %. Je vous encourage à
venir vous impliquer dans ce tour de force financier et journalistique en m’envoyant vos questions,
vos insultes et vos idées à redaction@impact.ulaval.ca.