Le sociofinancement, victime de son succès ? Peu nombreuses, les plateformes voient un nombre grandissant de projets se disputer l’attention du public à coup de vidéos promotionnels et de récompenses. Dans une telle situation de concurrence, marketing et originalité vont de pair pour assurer une visibilité maximale aux initiatives. Deuxième de deux textes sur le sociofinancement.
Pièces de théâtre, tournages, tournois, enregistrements d’album : l’offre est grande pour celui qui veut investir ses deniers en ligne. Projets culturels, mais aussi sportifs, communautaires et autres évènements caritatifs pleuvent et les campagnes sont si nombreuses et partagées « que le public est sursollicité », avance Thomas Rodrigue, jeune réalisateur qui finance son dernier projet sur Indiegogo.
Seulement, l’attention du public ne croit pas au même rythme que l’offre. Plus que jamais, les promoteurs doivent « miser sur la personnalité du projet » pour tirer leur épingle du jeu, précise Alexis Thériault-Laliberté, responsable des communications de l’Open de la LUI, tournoi qui a été financé sur La Ruche.
Au final, c’est le contributeur qui profitera de cette concurrence qui « risque d’améliorer la qualité des campagnes, note Thomas Rodrigue. Plus les gens vont en faire, plus ils vont comprendre comment ça marche, plus les campagnes vont être belles ».
Système de récompenses
Beaucoup plus que l’originalité des campagnes, c’est le système de récompenses qui assure le succès de l’entreprise. « C’est ce qui fait foi de tout parce que c’est ce que les gens achètent, explique Jean-Sébastien Noël, cofondateur de La Ruche. Les gens tombent en amour avec le promoteur et avec le projet, mais ils font une transaction avec la structure de récompenses. »
Encore faut-il trouver des « nananes » qui sauront ravir le cœur des contributeurs. « Il faut être en mesure de savoir que les gens soient intéressés par la récompense offerte », affirme Éric LeBlanc, membre du collectif Exond& dont l’évènement NORMPORN a été partiellement financée sur Indiegogo. Pour leur évènement, « l’une des récompenses, c’était des bobettes, ce qui a créé un petit engouement », ajoute l’étudiant à la maîtrise en études littéraires.
Convaincre les proches, et les autres
Une fois la structure de récompenses définie et la campagne lancée, la promotion du projet commence. Vaut mieux rallier ses proches dès le départ pour s’assurer que le projet prenne son envol, avise Jean-Sébastien Noël, également responsable de la plateforme québécoise. « Ça commence par les amis, la famille, qui vont embarquer peut importe le projet ». Ça se poursuit avec « les amis des amis qui ont encore un lien émotif avec le projet », pour se terminer avec les inconnus, sollicités en dernier, indique le jeune homme d’affaires. Eux, ils « vont arriver une fois que le projet va avoir connu un buzz, parce qu’ils voient que ça va marcher ».
En somme, le succès d’une entreprise dépend des efforts investis dans sa promotion, dans le souci accordé à l’aspect marketing du projet.
Offensive publicitaire
Si, pour Jean-Sébastien Noël, « tout part du promoteur », les plateformes doivent néanmoins se faire connaître du grand public. « Trouver des moyens pour attirer des gens sur leur site » est d’ailleurs l’un des défis auxquelles elles doivent faire face, selon Alexis Thériault-Laliberté.
Là encore, l’originalité est de mise. En plus d’afficher leurs publicités dans les abribus, toilettes publiques et autres Métrobus, La Ruche a récemment organisé un concours de création en collaboration avec l’agence 32 mars. La publicité gagnante, mettant en vedette l’historique pont de Québec sur fond jaune, est affichée à plus de cinquante endroits, dont plusieurs sur le campus de l’Université Laval.
À cela s’ajoute La Ruche Académie « qui est un bootcamp entrepreneurial d’une semaine qui permet à n’importe quel promoteur de recevoir des conseils d’entrepreneurs », présente Jean-Sébastien Noël.
Faire connaître les plateformes tout autant que les projets qu’elles supportent, voilà ce qui assurera la pérennité du sociofinancement. Le phénomène étant relativement jeune, « il n’y a peut-être pas assez de personnes qui ont envie de donner, qui sont à l’aise avec les plateformes ou qui les connaissent », soutient Alexis Thériault-Laliberté. D’où l’importance de séduire ses potentiels contributeurs et promoteurs, un clic à la fois.
Une affaire de jeunes ?
À l’heure de l’entraide 2.0, le sociofinancement permet de recréer l’esprit de communauté des quartiers populaires, ce à quoi la génération Y n’est pas insensible. C’est d’ailleurs ce qui explique la popularité grandissante de ce mode de financement auprès des jeunes. « Le sociofinancement, ça ressemble vraiment à notre génération, souligne Alexis Thériault-Laliberté. On voit qu’on peut faire plus que juste naviguer sur des pages Web et regarder des vidéos : on peut aider concrètement notre prochain. »
Le cofondateur de La Ruche abonde dans le même sens, convaincu que si « les plateformes ne s’adressent pas spécifiquement aux jeunes, ils se sentent plus interpelés », notamment par ce que sont eux « qui changent le monde ». De chaque côté de l’écran se répondent un promoteur – « un entrepreneur qui décide de changer son monde » – et un contributeur « qui n’a pas peur des nouvelles technologies » et qui « croit en l’entreprenariat et au bien commun ». Tous deux sont animés par des desseins similaires et tous deux ont une moyenne d’âge relativement basse.
La fondation de La Ruche témoigne de cette volonté, poursuit Jean-Sébastien Noël. « Quand j’ai décidé de m’impliquer dans le projet, il y a trois ans maintenant, c’était dans la foulée du Printemps érable. Au-delà de la contestation des frais de scolarité, il y avait un message encore plus puissant qui est celui du désir de changer le monde, qui est, je crois, une faculté qui s’estompe en vieillissant. »