Quatre jours. L’agrafe mauve pâlotte qui retient le sac du pain me nargue dans sa façon de faire éclore l’emballage comme une grosse boucle de cadeau. Parce que justement, ce n’est pas un cadeau. Mon pain est passé date.
Les égyptiens momifiaient, les taxidermistes empaillent, les croque-morts embaument et ma miche de pain s’est fossilisée. À part le Mcdo qui reste beau même après un mois, je vous mets au défi de trouver un aliment-de-masse (genre gros «format unique») qui passe le cap d’une semaine dans un frigidaire à l’utilisatrice unique. – Le ketchup, ça ne compte pas. – (Et le yogourt non plus : au nombre de bactéries qu’il y a déjà là-dedans, on sait tous que ca entre dans la catégorie «aliment éternel».)
Trêve de futilités, ils auront beau dire ce qu’ils veulent pour leur défense, mais les agents de conservation échouent carrément leur mission de conserver la tendresse de la mie de mon pain. Mais ils n’ont pas dit leur dernier mot…
Les formats titanesques de barres de pain sont une véritable confrontation. Rien de moins. Une boutade du genre : «T’es pas game de passer au travers avant qu’on ne passe date». Justement. Manger cet équivalent de meule-de-foin-transformée dans un ultimatum de quatre jours propulserait certainement ma bette en Une des quotidiens à potins. En sous titre de la citation choc «Je devais en finir avec lui» on pourrait lire : «Une femme meurt après avoir tenté de manger toute sa barre de pain format famille-de-vingt-neuf-enfants-et-douze-cousins-germains».
La question du «passage-date» reste d’autant plus entière. À quel moment un aliment périmé trépasse-t-il vers l’au-delà de la bouffe ? …Ou plutôt, à quel moment une autre forme de vie s’empare-t-elle de lui ? «Sens-le» semble être la prescription universelle. «Tant qu’il n’y a pas de ‘minou’ dessus», répondront ceux qui ont développé le plus d’anticorps. (Ou qui pourraient prendre ma place à la Une du quotidien à potin…
