«Tous sont affectés par le même problème au Paraguay : le manque de terres. Les Guaranis vivent dans l’Est, qui est le cœur agricole du pays. La plus grande partie des forêts occupées par les autochtones a été détruite pour la culture du soja, du blé et pour l’élevage», selon Jonathan Mazower, coordonnateur de la campagne au Paraguay pour Survival, un organisme international de défense des droits des autochtones basé à Londres.
On peut compter environ 100?000 autochtones répartis dans 18 tribus sur le territoire paraguayen. Celles-ci ne sont pas d’ascendance guaranie, comme l’est la majorité de la population, presque entièrement métisse. En effet, plus de 90% des Paraguayens parlent le guarani, la langue autochtone – qui n’est plus considérée comme telle - et un cinquième de la population, surtout rurale, ne parle que cette langue. Toutefois, «ceux qui sont guaranis ne sont pas considérés comme des autochtones. Seulement un petit pourcentage de la population, environ 4%, n’est pas guaranie et est considérée sous cet angle», explique Valérie Fournier L’Heureux, coopérante au Paraguay pour le Club 2/3 en 2006.
Comme dans bien des pays des Amériques, les populations autochtones ont au Paraguay des conditions de vie déplorables et sont tributaires de la bonne volonté du gouvernement. «La question autochtone est désastreuse, extrêmement triste au Paraguay, témoigne la coopérante. Il y a énormément d’analphabétisme et une pauvreté extrême. Un nombre effarant d’enfants prennent de la drogue et se prostituent. Les autochtones vivent dans des réserves, qui sont des terrains impropres à la culture dont personne n’a voulu. Ils vivent des dons des communautés et des touristes. Ils ont perdu à la fois leurs terres et leurs traditions.» Selon le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU, 45% des autochtones n’ont pas de propriété sur les terres de leurs ancêtres.
Protestant contre l’expulsion de leurs terres au cœur de la capitale, Asunción, tout au long de l’année 2007, des communautés autochtones ont reçu un accueil déplorable avec la publication par le quotidien La Nación, l’un des plus importants du pays, de «l’article le plus raciste de l’année», selon Survival. Il décrit les indigènes comme «néolithiques» et ayant des «coutumes dégoûtantes».
La nomination à la fin août d’une femme d’origine Aché, Margarita Mbywangi, en charge des affaires autochtones pour le nouveau gouvernement, est certainement un bon signe envoyé à ces communautés par Fernando Lugo. «Ça a certainement donné à beaucoup d’autochtones un espoir qu’ils auront une oreille plus attentive de la part du gouvernement. Mais les propriétaires terriens restent le groupe le plus puissant de la société paraguayenne», croit M. Mazower, interrogé par courriel.
Crise du soja
Dans le deuxième pays le plus pauvre d’Amérique latine, 80% des terres cultivables sont possédées par 2% de la population, en majorité des Paraguayens liés au parti Colorado ou à l’establishment brésilien, des Japonais et des Mennonites, ainsi que des entreprises brésiliennes. La culture du soja transgénique, qui va croissant depuis le début des années 2000, occupe actuellement plus de deux millions d’hectares dans le pays.
Cette situation crée un exode rural, les paysans sans terres allant s’établir dans la ceinture des villes dans l’espoir d’une vie meilleure. Ne parlant que le guarani, ils se butent à plusieurs obstacles et deviennent le plus souvent des travailleurs illégaux. «Il n’y a pas d’investissement productif, pas beaucoup d’opportunités, commente Mme Fournier L’Heureux. L’exode rural crée des bidonvilles, du chômage dans les villes et de la criminalité.»
Répartir plus justement les terres cultivables sera l’un des principaux défis qu’aura à relever Fernando Lugo, en plus d’éradiquer la corruption qui gangrène la justice et les organismes gouvernementaux. Cet ancien évêque, supporteur de longue date des paysans sans terres, s’est entre autres fait élire sur une promesse de réforme agraire. «Les groupes paysans commencent à envahir les terres, ils sont plus impatients que le gouvernement», décrit Valérie Fournier L’Heureux. Les attentes sont fortes et Lugo devra mettre en place des mesures concrètes afin de contrôler le mouvement.
En vue de financer ses politiques sociales, le nouveau président compte renégocier le traité qui établit le prix auquel l’hydroélectricité fournie par le barrage d’Itaipu, l’un des plus gros au monde, est vendue au Brésil – actuellement, au prix de production. Le gouvernement brésilien s’est montré fermé à l’idée.
Un vent de gauche
Avec l’élection de Lugo et de son Alliance patriotique pour le changement (coalition), le Paraguay entre dans le mouvement de gauche qui s’est emparé de la grande majorité de l’Amérique latine. Fernando Lugo a déjà évoqué sa sympathie pour Hugo Chávez et pour les autres dirigeants «socialistes» du continent.
Mais le pays entre surtout dans une ère de démocratie. Le nouveau président a été élu avec 41% des voix et le scrutin s’est déroulé sans problèmes majeurs. Cette nouvelle situation perdurera-t-elle? Lugo a déjà accusé le général Lino Oviedo de fomenter un coup d’État contre lui. De plus, le parti Colorado, en 60 ans de règne, a eu le temps d’infiltrer toutes les instances de pouvoir dans le pays… Se soumettra-t-il si facilement?
Selon Mme Fournier L’Heureux, le parti Colorado tombe aujourd’hui car l’exode rural est plus criant que jamais et parce que Fernando Lugo a réussi à réunir les mouvements sociaux autour d’une coalition. «Il y a eu un mouvement autour de Lugo, qui a une grande légitimité morale du fait qu’il était évêque. Les Paraguayens sont très catholiques.»
Malgré l’espoir que représente Lugo pour les plus pauvres d’entre les Paraguayens, certains bémols s’appliquent. Le nouveau président n’a pas la majorité et les problèmes au sein de sa coalition sont légion. «Il navigue bien, malgré qu’il soit un novice en politique», estime néanmoins Mme Fournier L’Heureux. «Lugo est un pragmatique, ajoute-t-elle. Les gais, l’avortement, il n’aime pas trop; à près tout, c’est un prêtre. Ce n’est pas un Chávez. Il veut garder de bonnes relations avec les États-Unis.»
Et pour les autochtones, tout reste à faire. Selon Jonathan Mazower, rien n’a vraiment changé pour les communautés avec lesquelles Survival travaille depuis l’élection de certains leaders de la gauche latino-américaine, comme Evo Morales en Bolivie, lui-même autochtone.
Paraguay
Population : 6,6 M d’habitants
Capitale : Asunción
Langues : Espagnol, guarani
Religions : Catholique (90%), protestante (Mennonites)
Indice de développement humain : 0,755
Chronologie politique
1811 Indépendance
1865-1870 Guerre de la Triple Alliance
Le Paraguay s’engage dans une guerre contre le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay réunis en un seul ennemi. La population est décimée et le territoire s’amenuise.
1932-1935 Guerre du Chaco
La Bolivie attaque le Paraguay afin de revendiquer une partie du Chaco, territoire qui s’étend au Nord-Ouest du pays. Le Paraguay remporte la guerre et prend possession de cet espace dont la propriété n’était pas clairement déterminée jusque-là.
1947 Guerre civile
La guerre civile qui secoue le pays durant plusieurs mois crée une période d’instabilité qui débouchera sur la dictature de Stroessner.
1954-1989 Dictature d’Alfredo Stroessner
Alfredo Stroessner, durant son règne de 35 ans, commande près d’un millier d’assassinats et on estime que deux millions de Paraguayens fuient le pays à cette époque. Le Paraguay est isolé au niveau international en raison des violations des droits de l’homme qui y sont commises, mais accueille en son sein plusieurs criminels nazis.
1992 Constitution
Le parti Colorado, du dictateur déchu Stroessner, met en place une constitution qui établit un système démocratique et qui, d’ailleurs, reconnaît les droits des populations indigènes. Dans les faits, ces deux politiques ne sont pas pleinement appliquées.
1996 Tentative de coup d’État de Lino Oviedo
2008 Fernando Lugo est élu à la tête du Paraguay et met ainsi fin à plus de 60 ans de pouvoir du parti Colorado.