Les comics américains ont envahi Hollywood et y règnent presque sans partage, dominant le calendrier comme le box-office. Dans les salles sombres, le congé pascal aura même été opportunément placé sous le signe du très christique Batman vs Superman : Dawn of Justice. Portrait du phénomène avec André Caron, professeur de cinéma au cégep Garneau.
« La vraie notion de superhéros commence avec Batman et Superman », les deux figures majeures de DC Comics, raconte André Caron. « Avec ces deux-là, on a déjà l’opposition entre celui qui a des superpouvoirs, comme Superman, et l’autre, Batman, qui est juste un humain surdoué qui se surentraîne pour avoir des capacités qui dépassent ce que le simple être humain peut faire. » Dès 1938 (Superman) et 1939 (Batman), les archétypes sont donc déjà posés.
On vise alors un public d’enfants, d’abord avec des feuilletons présentés au cinéma, puis à la télévision avec Superman (1952-1958) ou encore Batman (1966-1969), très bédéesque, gagné par l’esprit du pop art et destiné davantage aux 10-12 ans.
Mais entretemps, ailleurs, les choses ont changé : au début des années 1960, c’est la « grande cassure », avec Stan Lee qui « fonde » véritablement Marvel et met de l’avant des héros comme Hulk et Spiderman. Le public visé n’est plus le même : des enfants, on passe aux adolescents.
En 1978 et en 1981, c’est le grand passage : Superman revient au cinéma en deux films, avec un budget faramineux de 75 millions de dollars, pour des recettes cumulées de près de 450 millions. Deux autres suites font moins bien et le genre traverse une période difficile, malgré le retour relativement réussi de Batman dans les films de Tim Burton. C’est cependant Sam Raimi qui, avec sa trilogie Spiderman (2002-2007), inaugure en grand le règne des superhéros sur le box-office américain et mondial.
L’effet Nolan
En 2005 arrivent Christopher Nolan et Batman Begins. « On change alors carrément de créneau », détaille André Caron. « Pour Nolan, Bruce Wayne peut exister, mais il se pose une question : comment peut-il réaliser tout ça ? Il introduit un côté plus vraisemblable aux films de superhéros. Le rôle de Lucius Fox et toutes les explications technologiques, c’est génial ! »
Mais Nolan met aussi de l’avant un côté plus noir et plus torturé, inspiré par l’univers des bédéistes Alan Moore (Watchmen) et Frank Miller (300, Sin City). Le ton change. Le public aussi, qui vieillit et s’élargit.
« Batman Begins c’est le déclic, la base qui va permettre d’enraciner les nouveaux superhéros pour le cinéma. » La même recette est reprise par Marvel avec Iron Man, l’humour en plus.
Le succès de la série permet à l’écurie, désormais propriété de Disney, de lancer son « master plan ». L’objectif : réunir tous les superhéros de l’univers Marvel en un tout cinématographique cohérent devant culminer dans la série Avengers. Jusqu’à maintenant, le succès est phénoménal, laissant DC Comics loin derrière – mais la riposte se prépare, et Dawn of Justice annonce Justice League, sorte d’Avengers à la sauce DC.
Le syndrome de Frankenstein
Une question demeure pourtant : au-delà des prouesses matérielles et des décharges d’adrénaline, comment expliquer le mégasuccès du genre ? « C’est le syndrome de Frankenstein », répond André Caron. Une réflexion de l’écrivain de science-fiction Gene Wolfe à propos de la créature imaginée par Mary Shelley illustre particulièrement bien le phénomène, selon l’enseignant : « The monster was a boy such I wished to be, larger and stronger than any adult yet a boy still and thus an outcast, as all boys are ». Chez les adultes, la nostalgie fait le reste.
« Mais Nolan nous rappelle que le petit garçon aussi est dangereux. Batman crée le Joker : le superhéros exige le supervilain », ajoute André Caron.
Et après ?
À l’image de Superman, les superhéros défendent généralement la liberté et la justice : bref, ils luttent « pour the american way ». Mais tout n’est pas si simple, insiste André Caron. En effet, qu’y a-t-il au-delà, lorsque les superméchants qui menacent la planète disparaissent ?
« Qu’est-ce qui arrive si les superhéros défendent vraiment les intérêts des États-Unis ? Ou quand ils sont laissés à eux-mêmes ? Alors, les « États-Unis gagnent la guerre du Vietnam ou c’est l’anarchie totale », croit l’enseignant.
L’histoire se fait subversive, dérangeante, et l’apologie des valeurs américaines se fait critique. Face à Superman : Man of Steel, on retrouve l’univers glauque des Watchmen. Tous les deux portés à l’écran par le même homme (Zack Snyder), remarque André Caron avec malice. De quoi se poser encore bien des questions…
Les superhéros au box-office **
Les superhéros de Marvel, d’Hulk (2003) à Deadpool (2016) : 10 millards
Spiderman (2002-2014) : 3,99 milliards
Batman (1989-2012) : 3,73 miliards
X-Men (2000-2014) : 3,05 milliards
Superman (1978-2013) : 1,61 milliard
** Chiffres compilés par André Caron