Quand l’avarice coûte cher
On peut maintenant placer un nouveau nom aux côtés des Picsou, Séraphin et Harpagon de ce monde : celui de la famille Delorme. La vie de ses membres, tous plus antipathiques les uns que les autres, ainsi que leur univers sombre et éclaté sont présentés dans le truculent roman La chambre verte de Martine Desjardins (Maléficium, L’évocation).
Chez les Delorme, on fait absolument tout pour économiser : aucune rénovation dans la maison, récupération de miettes de nourriture sur la table, port de vêtements trop petits et usés à la corde, lavage une fois par mois, etc. Le but : garder intacte la montagne d’argent qui sommeille dans le sous-sol de la maison et même, la faire fructifier.
Les Delorme vouent en fait un véritable culte à l’argent, le père de famille, Prosper, ayant transformé une pièce de la maison en temple du dollar. Ils se dévouent ainsi au Trésor et leur prière est un Notre Père aux paroles changées : « Notre Dollar qui êtes précieux, que votre fonds soit crédité, que votre épargne arrive, que votre versement soit fait au Trésor comme aux livres…»
Leur histoire est racontée par leur maison, qui se révèle une narratrice loin d’être passive, jouant elle-même un rôle dans le déroulement de l’action en ajoutant son petit grain de sel là où elle le juge nécessaire. Elle a sa personnalité, ses envies, ses buts propres. Ce point de vue narratif inusité donne une couleur particulière au roman, en le teintant d’une touche d’humour grinçant.
Un univers achevé
Avec son cinquième roman, Martine Desjardins nous transporte dans un univers à la fois réaliste et décalé. Dans ce petit monde à part de la société, les personnages sont faits pour être haïs. On découvre un peu plus leurs vices cachés et leurs défauts à chaque chapitre. Des qualités? Aucune visible. C’est particulièrement le cas pour Estelle, vieille harpie dirigeant la maison d’une main de fer. Malgré le peu de sympathie que la famille inspire, on se plaît à évoluer dans son univers, à en apprendre un peu plus sur elle au fil de la lecture.
Une écriture entraînante
L’histoire prend un tour nouveau au retour de Vincent, l’héritier de la famille. On s’attache à ce personnage plus humain rapidement, tout en le prenant en pitié. À partir de son arrivée, le rythme s’accélère, la tension monte et les événements s’enchaînent. On prend parti, on fait des hypothèses, on doute de tout. Et la fin, surprenante, ne déçoit pas.
Avec La chambre verte, Martine Desjardins offre un véritable bonheur de lecture à quiconque apprécie le style gothique et l’humour noir. L’auteure a su doser à la perfection le drôle et le tragique, avec une écriture simple, imagée et près de l’action. À lire, sans hésitation.
4/5
La chambre verte
Martine Desjardins
Alto
248 pages
En librairie depuis le 24 mars
Extrait :
« Comme tous les premiers du mois, les Delorme sont sur le qui-vive, car c’est le jour béni où les locataires viennent acquitter leur loyer. Jusqu’à ce soir, ma sonnette tintera au rythme d’un tiroir-caisse et ma porte s’ouvrira toute grande sur la vue réconfortante de multiples mains tendant humblement leur dû. »