Photo: François-Xavier Boulanger-Nadeau
Combien de fois par jour vérifiez-vous vos courriels? Combien d’heures passez-vous à jouer à des jeux vidéos? Combien de temps passez-vous à naviguer sur Internet? Autant de questions anodines, dont les réponses pourraient en étonner plusieurs. Il nous arrive souvent de nous connecter sur Internet pour chercher des renseignements et de nous retrouver sur les pages de YouTube ou de Facebook. Pourquoi? Qu’est ce qui distingue la mauvaise habitude de la dépendance?
Une dépendancehors du commun
Ce qui distingue la dépendance à Internet des autres types d’addictions, c’est qu’elle n’est pas liée à la consommation d’une substance, d’une drogue ou de la nicotine, par exemple. Magali Dufour, professeure de psychologie au service de toxicomanie de l’Université de Sherbrooke, explique que «sur le plan scientifique, il n’y a pas de consensus pour reconnaître ou non Internet comme une dépendance. À quoi se réfère-t-on? Au clavardage, aux jeux en ligne, à la pornographie, à l’utilisation de Facebook? On ne peut pas parler d’un seul diagnostic. C’est difficile à décrire, et la référence à la dépendance à Internet ne fait pas l’unanimité».
De façon générale, il existe trois critères principaux pour définir une dépendance. Tout d’abord, l’objet devient une obsession pour la personne dépendante et constitue le centre de son univers, le reste devenant alors accessoire. Ensuite, une perte de contrôle survient, sinon cela ne constitue qu’une mauvaise habitude. Cela peut correspondre au nombre d’heures excessif alloué à l’activité. Enfin, il doit obligatoirement y avoir des conséquences néfastes telles que des problèmes de santé (prise de poids, mauvaise hygiène) ou des problèmes académiques. Madame Dufour ajoute que «la dépendance à Internet est surtout qualifiée de trouble du contrôle de l’impulsion, de dépendance comportementale, ou de cyberdépendance ou d’addiction, puisque le terme «dépendance» se réfère principalement aux substances».
Utilisation normale ou abus?
Mais comment un individu peut devenir aussi vulnérable et perdre le contrôle? Selon Nicolas Bisson, étudiant en troisième année au baccalauréat en psychologie à l’Université Laval, «l’utilisation d’Internet est indispensable et est présent dans tous les milieux, ce qui ne permet pas de déterminer facilement si une personne abuse de l’usage du Net. En fait, la dépendance n’est pas associée à Internet mais à ses applications. C’est problématique lorsque des individus essaient d’échapper à leur quotidien ou de vaincre leur anxiété en utilisant ces applications sur une base régulière». Ainsi, le fait de consulter ses courriels plusieurs fois par jour ne constituerait pas une dépendance, mais plutôt une habitude découlant de notre quotidien routinier.
Usages problématiques d’Internet
À quel moment le signal d’alarme doit-il être déclenché? À quel moment l’utilisation d’Internet devient-elle pathologique? Maxime Tremblay, étudiant à la maîtrise en biologie à l’Université Laval, affirme qu’il ne se considère pas comme un junkie d’Internet. «Je l’utilise surtout comme outil de travail. Même s’il m’arrive de jouer au poker dans des tournois virtuels, je suis conscient de la dépendance que cela peut causer. Par contre, je connais un étudiant qui a prolongé son doctorat de deux ans à cause d’une dépendance aux jeux», a-t-il affirmé. D’autres étudiants ont abandonné leurs cours, rompu avec leur partenaire ou même annulé leur mariage à cause d’une dépendance à leur ordinateur.
C’est justement le fait de moduler ses obligations et responsabilités en fonction de l’activité virtuelle qui pose problème. «L’usage problématique d’Internet, ou ce qu’on appelle «cyberdépendance», se caractérise par des préoccupations excessives par rapport à l’utilisation d’Internet et son usage abusif d’Internet. Ces préoccupations et cette utilisation excessive entraînent un sentiment de détresse ou interfèrent avec les activités présentes?dans les différentes sphères de la vie de l’individu», explique Marie-Anne Sergerie, psychologue et candidate au doctorat à l’Université du Québec à Montréal.?
Accro à la toile
La participation à des jeux de rôles virtuels, tels que World of Warcraft, est un phénomène qui a pris de l’ampleur ces dernières années. Une étudiante en géographie de l’Université Laval a partagé son expérience: «J’ai pris un certain temps avant de me rendre compte que j’avais un problème. Ce n’est pas toujours qu’une question de jeu, il y a aussi des dimensions humaines qui y sont rattachées. On joue en équipe, on se crée un cercle social, on communique. Plusieurs des personnes avec qui je jouais avaient besoin de discuter ou bien étaient là par fuite. À un certain point, ça me dérangeait presque d’avoir des obligations parce que je pouvais jouer entre 8 et 12 heures en une journée et je ne me rendais pas vraiment compte du temps qui passait. Je ne voyais plus vraiment mes amis et il en était de même pour ma famille. Quand j’ai réalisé que je me couchais quand les gens se levaient, je me suis dit que ce n’était peut-être pas ce qu’il y avait de plus sain comme mode de vie. Lorsque j’ai compris que les impasses du jeu avaient un impact sur ma vie, c’est là que je me suis dit que cette superficialité n’en valait pas la peine».
La lumière au bout du tunnel?
Quelles sont les solutions pour les personnes qui ont ce type de problème? Peu d’informations sont disponibles sur la prévalence de ces troubles, puisque l’utilisation d’Internet est relativement récente. Toutefois, des centres de traitements spécialisés sur les dépendances à Internet existent déjà aux États-Unis et en Europe.
«Il est primordial?de bien évaluer et de bien comprendre les facteurs qui sont en lien avec l’usage problématique d’Internet. La personne peut observer ce qui l’amène à rester connectée plus longtemps que prévu et y réfléchir. Elle peut?également?identifier comment elle se sent et ce?à quoi elle pense?quand elle est branchée à Internet, ou quand elle est dans l’impossibilité de le faire, mais qu’elle aimerait être en ligne. Une?bonne compréhension des difficultés permet d’orienter plus efficacement les interventions et de trouver des solutions mieux adaptées», souligne madame Sergerie. Tout comme le jeu pathologique et les dépendances aux substances chimiques, la cyberdépendance est un problème important, mal connu de par sa nouveauté, mais qui devrait éventuellement faire l’objet de plus de recherche. Comme il existe des campagnes de prévention pour la consommation excessive d’alcool ou la dépendance au jeu, il devrait aussi exister des campagnes de prévention pour la cyberdépendance. La société devrait ouvrir les yeux sur un problème qui pourrait devenir rapidement un fléau, à l’ère de l’avènement des technologies et du multimédia.