Peut-être est-il imprudent de placer ces deux œuvres côte à côte. Le silence obscène des miroirs de Daniel Castillo-Durante pourrait inviter le Cocorico de Pan Bouyoucas à danser un tango, ce que ce dernier refuserait avec une sèche froideur, certains livres sont comme ça. Qui plus est, proposer cette rencontre entre Bouyoucas et Castillo-Durante, le temps d’une critique, suppose qu’on reviendra aux généralités qui ont déjà catégorisées ces auteurs. Le pas sera fait et on écrira, faute de mieux : voici deux écrivains immigrants québécois (l’un argentin et l’autre grec) qui reviennent à leurs terres d’origine. Ce ne serait pas faux de le dire. Mais à quoi cela rimerait ? Demandez-le à d’autres.
David Bélanger
Il est vrai qu’il s’agit du point commun des deux œuvres : dans Le silence obscène des miroirs, un photographe de père argentin quitte Montréal pour retourner dans ce sud natal, risquer sa vie, devenir détective privé ou quoi encore, et boire de longs cafés sur les terrasses, subjugué devant la beauté du monde. Cocorico, prosaïquement, présente un écrivain canadien à succès qui – vous l’aurez deviné – est en panne d’inspiration. La solution est toute tracée : il doit retrouver sa muse sur cette île grecque où il a écrit ses premiers poèmes. Auteur de polar, l’écrivain de Cocorico veut cesser de visiter les abysses de l’humain et revenir à la beauté du monde.
Le fait que Castillo-Durante joue d’une écriture lyrique à souhait, souple et fantaisiste – des images turquoises et des odeurs d’espresso nous restent en fin de lecture – lui donne, disons-le, un avantage considérable sur le bouquin de Bouyoucas. Ce dernier, froid, simple, sec, présente une écriture dépouillée à l’instar de l’intrigue. On ne s’embête pas dans l’image ou dans l’adjectif avec Cocorico, ça coule, ça tombe et ça se termine – avec une chute, évidemment. Néanmoins, Bouyoucas réussit à être efficace, rappelant en ce sens le Prosateur à New York de Göran Tunström : la trame se dévoile, les personnages se dénudent et si le charme n’est pas total, le roman reste honnête et cohérent. Avec Castillo-Durante, d’une toute autre manière, on vit des hauts et des bas, on s’égare dans l’anecdote, le lyrisme s’épuise dans des jeux de miroirs borgésiens et l’impression finale est que l’intrigue, décousue et peu convaincante, ne constituait que le prétexte aux élans charmants d’un style marqué.
« Mais est-ce que ça vaut le détour ? » demanderait un lecteur consciencieux. Si par détour vous voulez dire, « la beauté du monde se trouve-t-elle vraiment dans ces terres d’origine ? Doit-on foutre le camp pour retrouver le bonheur ? », le constat des deux livres est le même : parti à la recherche de l’espoir, les deux personnages naturalisés canadiens n’y trouvent que la fin. Constat optimiste : c’est aussi laid ailleurs qu’ici. À méditer.