Portrait distant
Dévoiler l’histoire du personnage principal à travers le regard de multiples narrateurs, c’est le défi que s’est lancé Sophie Bienvenu dans son troisième roman, Autour d’elle. On découvre par bribes Florence, une femme ayant accouché très jeune d’un garçon qu’elle a laissé en adoption. Un portrait en nuances par des figurants quelque peu volatiles et éphémères.
À tour de rôle, le caissier du magasin de photos, l’enseignante de l’école primaire et le préposé d’une animalerie dressent une esquisse de la personnalité de Florence par le biais de leur propre histoire personnelle. Chaque chapitre amorce en quelque sorte une nouvelle intrigue; on veut découvrir quels rapports les personnages entretiennent avec Florence.
Si, à première vue, l’expérience, qui porte les traces d’un recueil de nouvelles, semble intéressante, on se désole de ne pas avoir davantage accès à cette femme. Elle ne fait parfois qu’une brève apparition dans des passages concentrés sur les figurants. Il est donc difficile de bien cerner Florence, de s’attacher à elle. Le roman porte bien son titre, on tourne autour du personnage de Flo sans vraiment entrer au cœur de son intimité. Soulignons cependant le très beau chapitre T’as bien fait ça.
Les momentanés des figurants
Tous ces figurants laissent peu de marques à long terme. Le sentiment d’appartenance à tous ces personnages secondaires ne se crée pas, car on comprend rapidement que chaque narrateur ne prend la parole que le temps d’un chapitre. Impossible de s’immerger dans leur univers; on commence à peine, au bout de quelques pages, à avoir un certain intérêt pour leur histoire personnelle que le chapitre se termine. On aurait préféré une certaine lenteur pour se laisser le temps d’apprivoiser ces protagonistes.
Il y a pourtant un bel échantillonnage de couples brisés. Tout se rapporte d’une façon ou d’une autre au thème universel de l’amour. Certes, on ne réinvente pas le thème, mais on propose un regard varié et juste. Il est question d’homosexualité, de traitement de fertilité, de violence conjugale, de dépression post-partum. Si Florence a reçu peu d’amour au moment de mettre son fils au monde, les autres personnages en ont parfois à revendre ou à réparer.
La forme du roman choral offre les possibilités d’expérimentations de points de vue et de niveau de langue, mais l’exercice de style se fait souvent trop ressentir. Certains narrateurs s’expriment à l’aide d’un langage plus oralisant, d’autres dans un français européen, on épouse à un certain moment le regard d’un narrateur-enfant. Chaque entrée est une opportunité d’essayer un style nouveau. On s’enfarge néanmoins dans cette langue parlée qui sonne parfois faux.
Lorsqu’on referme le livre, le portrait de cette fille-mère qui a dû se séparer de son fils s’avère somme toute touchant, mais pas suffisamment étoffé. Cela s’explique peut-être en raison de la force inégale des chapitres.
