Plus du quart (27%) des diplômés universitaires seraient analphabètes fonctionnels selon des données transmises par l’Institut de la Statistique du Québec. Le professeur au Département d’éducation et formation spécialisées à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Paul Bélanger, conteste la douteuse utilisation de cette appellation.
Selon lui, utiliser le terme « analphabète fonctionnel » implique le fait de bien comprendre ce dont il est réellement question. Cela concerne des personnes qui savent lire, écrire et compter mais qui, dans certaines situations, ne sont pas capables de comprendre des concepts plus complexes.
M. Bélanger n’hésite pas à s’opposer à la nature du terme « analphabètes fonctionnels », même s’il comprend son utilisation dans le discours courant. Il affirme, sans équivoque, que cette nomination est exagérée. Les personnes concernées par cette situation « ne sont pas capables d’utiliser un texte un peu complexe afin de trouver des solutions à certains problèmes dans leur milieu professionnel ou bien quotidien », explique t-il pour illustrer son point de vue. Il affirme qu’il s’agit davantage d’une forme de désapprentissage que d’analphabétisme.
Changement radicaux
Le professeur titulaire estime que la problématique est née de l’exigence du milieu du travail. « C’est un problème réel qui vient du fait qu’on vit dans un univers de plus en plus sophistiqué au niveau de la communication écrite. Maintenant, il faut donner de l’espace aux gens pour s’adapter à ce nouvel univers qu’ils ont déjà connu lors du parcours scolaire, mais qu’ils n’ont pas pratiqué par la suite », justifie-t-il.
L’assiduité durant le cursus universitaire demeurerait donc toujours présente. Cependant, après quelques années dans le milieu professionnel, les anciennes habitudes de lecture tendraient à se dissiper, jusqu’au point de perdre totalement le niveau initial de compréhension devant des textes spécifiques.
Paul Bélanger soutient qu’il y a là « un sérieux problème, surtout dans le monde actuel où la lecture et l’écriture sont devenus des outils très importants, que ce soit sur support papier ou bien électronique ».
Il y a quelques années seulement, l’écriture d’un compte-rendu complet n’était pas obligatoire au sein de certaines professions. Progressivement, en s’adaptant aux changements économiques et sociaux, certaines entreprises demandent à présent l’écriture de rapports approfondis. Cela pourrait être un changement majeur pour certaines personnes qui ont perdu ces anciennes habitudes.
« Regarder un soudeur aujourd’hui, c’est très intéressant. Aujourd’hui, en raison d’un travail ponctuel et non répétitif (comme dans le passé), le soudeur doit travailler sur des plans. Il doit travailler sur des nouvelles plateformes afin de savoir comment procéder pour son projet », explique M. Bélanger. Ce dernier met l’accent sur les changements entrepris au sein de plusieurs entreprises au Québec depuis les dernières années pour contextualiser le phénomène.
Des solutions possibles
Des solutions sont possibles, selon l’ancien président du Conseil international de l’éducation des adultes. Il suggère, par exemple, d’être attentif à ce phénomène de remise à niveau et soutient la création d’un environnement où les personnes peuvent pratiquer graduellement leurs compétences en termes de communication. Cet aspect est tout aussi important que la formation continue, dans certains domaines comme celui de la santé, selon le professeur de l’UQAM.
De nos jours, les diplômés, pour la plupart concernés par cette situation, travaillent très souvent dans un environnement différent de celui qu’ils connaissaient lors de leurs études. M. Bélanger insiste notamment sur le fait qu’il ne faut pas avoir une approche péjorative à l’égard de ces personnes. Il mentionne même la possibilité de faire des enquêtes internes discrètes dans une entreprise, afin de déceler les faiblesses de chacun pour ensuite offrir des formations et du soutien personnalisé.
La réalité actuelle suggère un travail de plus en plus en communautaire et non individuel. Toutes les formes de communication, incluant l’écrite, seraient donc devenues essentielles dans notre société.
La communication dans la sphère publique
Un constat important ressort au sein des médias. Très souvent, l’utilisation de sigles ou de termes professionnels et complexes découragerait les individus à continuer de lire. Ces derniers ne peuvent ainsi pratiquer leurs compétences en ce qui concerne la lecture.
Paul Bélanger mentionne qu’il est important aujourd’hui de bien former les communicateurs publics (journalistes, etc.) à rendre l’information accessible pour tous, autant dans le milieu médiatique que social et les lieux de travail.
Phénomène d’éducation
Au-delà des étudiants universitaires, la problématique de l’analphabétisation débute dès le plus jeune âge. L’éducation à la maison est l’une des sources primaires pour l’enfant. M. Bélanger explique en ce sens qu’il est important d’habituer les jeunes à s’intéresser à la lecture, à l’écriture et aux nombres très tôt à l’enfance, afin que ceux-ci conservent cette saine habitude pour toujours.
L’homme rappelle en terminant que plusieurs études effectuées dans les dernières années mettent en évidence le lien de cause à effet entre l’adhésion de la lecture au sein des foyers des enfants et la réussite scolaire sur le long terme.