La Batsheva Danse Company présentait mardi dernier le spectacle Last Work, dernière création de la compagnie sous la direction du danseur et chorégraphe israélien Ohad Naharin.
Avec une narrativité croissante en intensité visuelle et sonore, rythmée par la course interminable d’une interprète isolée à l’arrière de la scène, le public présent au Grand Théâtre de Québec a été emporté dans un univers profond et éclaté, orné de représentations controversées et de symboles exprimés au travers de figures corporelles.
Comme en s’introduisant dans une histoire de tourments, les rideaux dévoilent une jeune femme vêtue d’une robe bleue au milieu d’une course silencieuse. Ses pas prennent graduellement une gravité dans une atmosphère feutrée, enveloppée de sons électroniques suaves. Le travail musical du compositeur allemand Grischa Lichtenberger débute comme une méditation sonore s’articulant en fonction des contorsions exploratrices des premiers danseurs entrant progressivement sur scène.
Se créant un microcosme éclectique d’interprètes et de mouvements exogènes, l’ambiance sonore sculpte l’organisation anarchique des danseurs dans une sorte d’expérience de frénésie moléculaire. Organisation intuitive dans l’espace offert, disparité des mouvements, des orientations et des interactions sur la scène, le langage Gaga s’exprimait impérieusement.
Développé par Naharin lui-même, ce langage de danse contemporaine exige l’écoute et l’observation de chaque corps de façon individuelle pour ainsi en dégager des mouvements intuitifs et personnalisés. Cadre de travail imposé par le chorégraphe et pratiqué par la compagnie depuis plusieurs décennies, il a permis à Naharin de se dresser comme un des chorégraphes les plus originaux de l’actualité, en plus de la distinction de ses affinités musicales et l’imprégnation d’éléments politiques et controversés dans ses œuvres.
Une grande fluidité se dégage durant la première partie de la pièce, anesthésiant le public devant un tableau de subtilités liées à la virtuosité des corps sur scène. La musique n’évolue que très peu au long du spectacle préservant l’état de transe dans lequel certains reposent. Effet maintenu jusqu’aux derniers tableaux, et qui n’aurait pas été possible sans une maîtrise extraordinaire des transitions entre les séquences de l’œuvre.
Ces transitions harmonieuses sont appréciées spécialement durant le passage de la première atmosphère reposante, qui amplifie la sensibilité des spectateurs, vers les séquences finales construites de mouvements synchronisées sous des arrangements musicaux plus explosifs rappelant la techno sombre de squats berlinois des années 90.
En contrastant avec la première partie de la pièce, le ton explosif qui en suit jusqu’à la fin de l’œuvre a un côté cathartique marqué par la fureur des mouvements et le dérèglement des symboles adoptés par Naharin. Laissant le champ libre à l’interprétation, on se fait emporter par l’absurdité de l’être humain dans une société évolutive, mais moralement fragile, pleine de répétitions et de frivolités, et enlever par la cohésion du groupe réagissant à l’enchaînement sous l’amplitude de la guerre.
Des migrations groupales aux caractères rigides s’enfilent, révélant la vision politique du chorégraphe et des danseurs. Arrivé au summum accusateur, le théâtre se glace sous les cris énervés d’un danseur devant le micro, la masturbation artificielle d’un deuxième, et la course de la jeune femme en bleu sous l’ombre d’un drapeau blanc s’agitant devant la frénésie des autres interprètes.