Copibec a officiellement déposé son action collective contre l’Université Laval le 13 mars dernier, lui reprochant notamment d’avoir reproduit près de 11 millions de pages à partir de 7000 ouvrages de référence sans en détenir les droits d’auteur. Les procédures judiciaires peuvent donc être entamées dès maintenant.
D’ici peu, les membres de la direction de Copibec souhaitent rencontrer les étudiants et les professeurs du campus, afin de leur faire comprendre les modalités parfois très complexes entourant ce conflit. Dans le contexte de la course au rectorat, l’organisme vise à mettre l’enjeu des droits des créateurs « sur la table des discussions » entre les candidats.
« Ces activités vont se tenir très prochainement, avoue le président, Gilles Herman. On veut donner notre point de vue à la communauté et lui expliquer le fonctionnement de la loi, puisqu’on voit bien que la question des droits d’auteur est mal comprise actuellement. »
Celui qui est également éditeur estime que la mission de son organisme est mal interprétée par plusieurs dans l’espace public. « Nous ne sommes pas une entreprise privée qui essaie de faire des profits sur le dos d’individus, mais bien un OBNL. C’est géré par les ayants droit pour faire circuler l’argent généré par chaque copie. »
Rappelons que l’Université Laval possède sa propre politique de gestion des droits d’auteur depuis qu’elle a refusé de renouveler sa licence auprès de Copibec, en 2014. Ces nouvelles mesures seraient toutefois « beaucoup plus permissives » en termes de redevances monétaires et de reproduction, selon M. Herman, pour qui l’administration fait actuellement des économies sur le dos des créateurs.
Dans cette politique publiée le 21 mai 2014, on peut lire que, dans la mesure où l’œuvre est utilisée pour des fins spécifiques à l’éducation, la recherche et l’étude privée, de courts extraits peuvent être reproduits et communiqués, sous la responsabilité du vice-rectorat aux études et aux activités internationales. Par court extrait, la politique entend la reproduction de 10 % d’un ouvrage, qui peut prendre la forme d’articles, de chapitres, de manuels, de livres ou de recueils.
Les Presses de l’Université Laval (PUL) impliquées
Plusieurs entités liées à l’Université Laval touchent annuellement des redistributions financières de Copibec. C’est pourquoi Gilles Herman et ses collègues ont voulu vérifier, il y a quelques semaines, si les PUL versaient des dividendes à l’institution d’enseignement.
« Mon impression était que ça allait être bel et bien indépendant, mais on a voulu s’assurer que les sommes dues n’iraient pas dans les coffres de l’Université, mais bien aux bons endroits », dit-il.
Or, aux dires du président, ces demandes d’éclaircissement se sont soldées par une mise en demeure des Presses de l’Université Laval. « On a trouvé ça un peu raide en se disant qu’on s’attendait simplement à avoir des réponses », poursuit-il, soulignant au passage que, visiblement, le sujet dérange à l’interne selon lui.
« On sent bien qu’il y a des susceptibilités actuellement sur le campus à ce sujet-là, poursuit M. Herman. On souhaite simplement savoir si les PUL sont indépendantes afin de verser nos redevances. J’espère que ça va se régler. »
Repenser la loi ?
Votée en 2012 sous les Conservateurs de Stephen Harper, la plus récente loi canadienne sur le droit d’auteur nuit à la protection de la propriété intellectuelle, selon Gilles Herman. Pour lui, elle introduit de nouvelles modalités sans pour autant bien les décrire. Ce flou légal constitue d’ailleurs le cœur du litige avec l’UL, note-t-il.
« L’Université prétend en fait utiliser l’exception pédagogique disant que nul n’est obligé de payer des redevances en pratiquant l’enseignement, poursuit-il. Sauf que la loi ne dit pas dans quelles limites ça peut se faire. Le rectorat fait ici une interprétation très agressive de l’exception. »
Copibec affirme qu’elle se bat depuis maintenant cinq ans pour obtenir la réforme de cette loi. Les Libéraux de Justin Trudeau sont actuellement en processus de révision de celle-ci à Ottawa. « C’est maintenant ou jamais, parce que si ça reste identique, on s’en va vers une chute de la portée du droit d’auteur et des revenus qui en découlent », croit l’éditeur.
D’importants pouvoirs symboliques soutiennent d’ailleurs la cause de l’organisme. C’est le cas de Claude Robinson, qui a assisté aux délibérations judiciaires en Cour d’appel. « Sa présence est importante, puisque c’est quelqu’un qui a justement gagné son combat personnel contre Cinar », lance Gilles Herman.
Il souhaite voir plus d’appuis de ce genre se manifester dans les prochains temps, du côté politique notamment. Plus tôt cette année, la ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, s’est rangée derrière l’Université Laval dans ce litige. « Ça me révolte, c’est la théorie de la loi de l’utilisateur, selon laquelle les citoyens du numérique veulent une utilisation gratuite, alors autant leur donner, envisage le président de Copibec. Sauf que les gens produisent du contenu, ils doivent être rémunérés pour ça. »
La suite des choses
Le litige ayant été officiellement introduit devant les tribunaux, les discussions entre les avocats devraient maintenant commencer.
« Il va falloir qu’on produise les preuves, que la défense se prépare et que le juge fixe une date, affirme M. Herman. Maintenant que c’est lancé, je ne serais pas surpris que l’Université veuille régler à l’amiable, mais si on se rend jusqu’au bout, c’est probablement quelque chose qui va se décider en Cour suprême. »
Jointe par Impact Campus, l’Université Laval n’a, pour sa part, pas voulu transmettre de commentaires dans ce dossier, dans le contexte où des processus judiciaires sont en cours.
« On va surtout attendre la fin des procédures pour commenter. On va laisser la Cour faire son travail, autrement dit », conclut la porte-parole de l’institution, Andrée-Anne Stewart.