Ralentissement des iPhone : Pour leur bien ou pour les gains?

Juste à temps pour les Fêtes, Apple a été contraint à avouer que ce que plusieurs suspectaient déjà. Les mises à jour ralentissent effectivement les plus vieux iPhone. Des accusations d’obsolescence programmée n’ont pas tardé de suivre. La compagnie a depuis tenté de calmer le jeu, prétextant que le ralentissement sert à sauver les batteries plus usées. La professeure de droit à l’Université Laval, Marie-Ève Arbour, s’intéresse entre autres aux enjeux de droit de la consommation. Celle-ci n’est pas tout à fait convaincue par les propos de l’entreprise. « On ne sait pas encore si Apple cherchait à améliorer son produit ou améliorer ses ventes », indique-t-elle.

Selon la professeure, bien que la compagnie affirme que la manœuvre permet de prolonger la durée de vie de ses appareils, le consommateur n’était pas mis au courant de ses intentions. De plus, si les limitations de la batterie étaient connues, elle se demande pourquoi Apple n’a pas prévu une façon plus facile de la changer.

« Au niveau de la transparence, c’est certain qu’il en aurait à redire, soutient Mme Arbour, au lieu de proposer de changer la batterie, Apple a peut-être poussé certains utilisateurs à bout avec un produit moins performant. »

Ainsi, indirectement, le ralentissement a possiblement incité des consommateurs à acheter un nouveau produit, « C’est pour ça qu’on parle d’obsolescence programmée », précise-t-elle.

La juriste explique toutefois que le message de la compagnie ne permet pas de déterminer d’emblée qu’il s’agit bel et bien d’un cas d’obsolescence programmée. « Ce sont en quelque sorte des aveux partiels, parce qu’il semble en réalité suggérer qu’il améliorait le produit », constate Mme Arbour.

« Apple n’a pas fait un mea culpa en tant que tel même s’il a assorti ça d’une mesure réparatrice », poursuit-elle, faisant référence à la mesure qui permet aux consommateurs de se procurer la batterie pour un moindre cout.

Pas de loi au Québec

« À la différence de la France, au Québec, on ne connait pas l’obsolescence programmée d’un niveau juridique, on n’a pas adopté de loi pour l’interdire », explique Mme Arbour. Les consommateurs québécois ne sont pas pour autant sans défense.

Pour aborder l’obsolescence, il est possible d’utiliser des stratégies plus traditionnelles de droit, notamment le droit du contrat et le droit de la consommation. « Ce sont des anticorps à l’américaine qui peuvent suffire pour protéger le consommateur, précise la professeure, mais un juge pourrait aussi décider qu’une durée de vie n’est pas raisonnable et ordonner à une compagnie de compenser le consommateur. »

Par contre, les conséquences pour les contrevenants demeurent bien moins sévères ici. « En France, les dirigeants d’entreprise peuvent risquer l’emprisonnement, ce que le droit québécois ne permet pas en ce moment », indique Mme Arbour. Elle souligne tout de même que des dommages punitifs, comme des amendes, peuvent être accordés en vertu de la loi sur la protection du consommateur.

La professeure explique que le vocabulaire qu’utilisent les juristes québécois pour décrire l’obsolescence programmée tourne autour de trois principes. Le défaut d’usage, qui contrevient à la garantie de qualité de la loi sur la protection du consommateur. Ensuite, il y a les pratiques interdites de commerce qui empêchent au manufacturier de mentir au consommateur. Et finalement, les vices du consentement qui rentrent en compte à la formation du contrat, exigeant l’honnêteté des parties en tout temps.

Ainsi, il faut que toute l’information soit donnée avant la signature du contrat ou de l’achat. « Si Apple anticipe que son téléphone deviendra plus lent, il doit le dire au consommateur pour qu’il puisse prendre sa décision », indique Mme Arbour.

Des recours collectifs en préparation

Un peu partout dans le monde, des processus légaux ont été lancés pour faire face à la compagnie californienne. « J’ai eu accès à un des recours québécois qui est encré dans des bases juridiques solides et qui pourrait aboutir à des résultats assez similaires à ce qu’il se prépare en France », affirme la juriste.

Toutefois, ce genre de recours rencontre souvent des problèmes au niveau de la preuve. « Prouver le mensonge, la tromperie ou la mauvaise foi, c’est toujours extrêmement difficile, il faut trouver des témoins ou être en mesure de coincer les fautifs en interrogatoire », avertit Mme Arbour.

Selon elle, Apple a tout de même fait un cadeau au juriste en campant le recours sur l’équation entre la mise à jour du logiciel et la batterie. « Sur le versant technique, on a quand même une piste qui devra être explorée par les experts pour voir comment les mises à jour auraient affecté les batteries », révèle la professeure.

Il faudra aussi que ceux qui intentent les recours réussissent à prouver que tous les téléphones de la gamme concernée aient souffert d’un ralentissement après la mise à jour. « Il faut une preuve technique pour appuyer les allégations », spécifie Mme Arbour.

Les résultats risquent de se faire attendre, les processus juridiques de ce type sont lents. La demande de recours n’a même pas encore été autorisée. « On est encore loin d’un jugement », résume la juriste. Pour une histoire impliquant l’un des plus importants fabricants de téléphones, il reste à voir comment le reste se déroulera.

 

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