Les renégociations de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) étant en cours, le Centre d’études pluridisciplinaires en commerce et investissement internationaux (CEPCI) a organisé un colloque le 15 mars dernier. Celui-ci portait sur les diverses issues envisageables ainsi que les perspectives de chacun des trois pays concernés, à savoir le Canada, les États-Unis et le Mexique. Afin de prendre part à la discussion, trois experts pour chacun des pays énumérés ont exprimé leur avis dans la première partie du colloque portant sur les perspectives des négociations.
Après quelques mots de bienvenue de la part du directeur des Hautes Etudes Internationales de l’Université Laval, Louis Bélanger, et du doyen de la faculté des sciences sociales, François Gélineau, c’est l’ambassadeur du Mexique auprès du Canada qui prend la parole. Avec lui, commencent à se dresser les trois différentes perspectives liées aux négociations de l’ALÉNA. Le colloque tentait de présenter ces questions sous un angle différent de celui que l’on trouve d’ordinaire dans les médias. D’après François Gélineau, directeur du Centre d’études interaméricaines (CEI) de l’Université Laval, les médias auraient en effet « tendance à identifier des enjeux aux retombées sur nos réalités locales. » Nous laissant ainsi sans grande connaissance des incidences sur le Mexique, par exemple.
Les avantages de l’Accord
Outre le désir de négociations avantageuses pour chacune des parties concernées, c’est une vision positive de l’ALÉNA que semblent partager les trois experts sollicités dans le cadre de ce colloque. Une vision du libre-échange comme solution et non comme faisant partie du problème. M. Dionisio Pérez-Jácome, actuel ambassadeur du Mexique au Canada, qui a notamment participé aux négociations initiales de l’ALÉNA, a pris part au colloque en présentant la mission du gouvernement mexicain au sujet des renégociations.
L’ambassadeur rappelle tout d’abord que l’ALÉNA a été largement bénéfique pour le Mexique puisqu’elle a permis de favoriser l’export en créant la plus grande zone économique du monde. Elle a ainsi rendu possible une considérable augmentation des investissements, des échanges au sein de la région, en stimulant la production et en générant des emplois dans les trois pays.
Grâce à l’ALÉNA, les échanges bilatéraux entre le Mexique et le Canada ont également été favorisés, faisant ainsi du Canada le troisième partenaire d’échange le plus important pour le Mexique. Quant à l’objet des renégociations en cours, elles portent surtout sur une modernisation du traité qui, pour rappel, a été signé il y a près de 26 ans.
Les défis reliés à la négociation
Même si les pays sont d’accord sur certains aspects comme les mesures anti-corruption, de nombreux points semblent toutefois faire débat au sein de l’alliance tri-nationale. Dionisio Pérez-Jácome met en avant une négociation « atypique » et un certain nombre de points faisant toujours l’objet de dissensions au sein des trois pays. Au niveau macroéconomique, le déficit commercial pose par exemple problème dans le cadre de ces renégociations. Le mécanisme de règlement des différends fait débat également, car le Mexique ne se voit pas accepter l’élimination du chapitre 19, ni du chapitre 20 et souhaite surtout moderniser l’alliance. Le pays souhaite ainsi mettre en place des mécanismes transparents et équitables.
Pour le Mexique, le problème principal de cette renégociation reste la règle d’origine. Actuellement, dans le secteur automobile, les produits doivent se prévaloir de 62,5% de contenu de l’un des pays de l’ALÉNA. Les États-Unis souhaitent cependant rehausser ce taux à 85% et y ajouter 50% de contenu national leur appartenant.
Au niveau canadien, ce sont ces règles d’origine que déplore également Louis Bélanger, professeur titulaire en science politique à l’Université Laval et directeur de l’Institut québécois des hautes études internationales (HEI). En plus des coûts administratifs liés au respect des règles d’origine, il met en avant l’obligation d’utiliser des ressources moins avantageuses et moins efficaces. « Si vous êtes obligé d’utiliser des composantes nord-américaines afin de satisfaire les règles d’origine, vous allez utiliser des produits plus chers et moins efficaces. »
En fonction du secteur d’activité, il n’y aurait donc pas d’avantage significatif pour le Canada. En effet, cela reviendrait trop cher pour les entreprises canadiennes de postuler pour les tarifs préférentiels de l’ALÉNA. Voilà qui soulève donc une question cruciale. En quoi cet accès préférentiel offert par les accords profitent au Canada? Louis Bélanger estime que cette valeur est importante, mais diminue avec le temps, surtout lorsque l’on parle de tarifs préférentiels. Si le Canada se retire de l’ALÉNA, il sera toujours possible de s’en remettre aux lois de la l’Organisation mondiale du commerce.
L’ambassadeur mexicain considère qu’il faudrait moderniser cette règle obsolète, négociée il y a près de 26 ans, alors que certaines composantes actuellement utilisées dans la fabrication de voitures n’existaient pas à l’époque.
Par ailleurs, les États-Unis proposent une clause d’extinction quinquennale, autrement dit, une clause prévoyant l’expiration de l’ALÉNA, sauf en cas d’entente préalable contraire. Ce qui va à l’encontre de la vision mexicaine et de son désir de collaborer dans un état d’esprit de certitude vis-à-vis de cet accord. En matière d’agriculture, les États-Unis souhaitent également mettre en place une restriction de l’import sur certains produits en provenance du Mexique pendant les saisons où des produits similaires poussent aux États-Unis.
Un pas en arrière
Carol Wise, Professeur Associé en Relations Internationales à l’University of Southern California, regrette certaines requêtes faites par les États-Unis et souligne qu’elles constituent un véritable pas en arrière. Elle dénonce un certain protectionnisme et se dit choquée par le criticisme de l’ALÉNA pendant la campagne de Donald Trump. “Beaucoup de problèmes soulevés par les Etats-Unis dans le cadre de ces renégociations semblent en fait être des problèmes de politique interne ayant échoué. Notamment certaines politiques sociales, éducationnelles, mais aussi une surévaluation du dollar américain. Les Etats-Unis dépendent aussi du Mexique et du Canada ainsi que des exports effectués vers ces deux pays.”
Si l’issue de ces négociations reste toujours incertaine, les élections à venir dans les trois pays concernés pourraient en influencer considérablement l’issue. En revanche, pour Louis Bélanger, peu importe l’issue de cette négociation, cela pourrait être la fin de l’ALÉNA.