L’Union étudiante du Québec lançait à la fin du mois d’octobre une grande enquête par questionnaire partout dans la province afin de documenter l’épineuse question de la santé mentale des étudiant(e)s. Espérons que cette étude mettra la lumière sur la dimension éminemment sociale de cet enjeu.
La petite histoire de ma façade nous ramène en 2010, le 6 décembre plus précisément, alors que j’étudiais en journalisme au Cégep de Jonquière. Cette date, c’est celle de l’annonce par le gouvernement du Québec d’une hausse «inévitable» des frais de scolarité devant la conférence des recteurs, certains acteurs privés et les grandes fédérations étudiantes, tous réunis au Centre des congrès de Québec.
Cette date est aussi le moment où je suis né, où j’ai pris conscience de ma place dans le monde, des freins éventuels à mon émancipation. Lorsque j’ai débuté un baccalauréat en sociologie en 2013, ce sentiment ne s’est qu’amplifié en apprenant à analyser les dynamiques sociales. Que faire, si petit, devant la grandeur de la tâche à accomplir ?
Petit à petit – et de plus en plus vite- je sentais un malaise grandir en moi, prenant de plus en plus de distance par rapport à ma façade, cette image que je me plaisais à projeter de moi depuis 2010 : celle d’un militant, d’un universitaire qui réussi, d’une bête de scène et de foule, d’un allié, d’un amoureux, du gars toujours partant pour lever le coude.
De très haut à très bas
Lorsque j’essaie de regarder ma situation à la troisième personne, je dois dire que je ne suis pas à plaindre. Je réussi assez bien à l’école et je m’y sens valorisé, j’ai vécu de belles relations amoureuses qui m’ont énormément fait grandir, j’écris dans un journal, je joue du punk-rock… la liste pourrait s’étirer.
Mais si je retourne au début de l’année 2016, ce recul était impensable pour moi. Prisonnier d’une tendance à rationaliser de manière maladive les situations émotionnellement difficiles à vivre, je me trouvais dans un sable-mouvant, m’enfonçant chaque jour un peu plus, devenant à vue d’œil la pire version de moi-même. Au point de faire fuir mes proches. Au point d’être toxique.
Cette toxicité était particulièrement insoutenable, me plaçant en contradiction avec des idées que je défendais depuis quelques années. Ces situations sont d’autant plus difficiles à surmonter en raison de leur complexité. Comment dire à un proche que son attitude le place potentiellement en danger ? Comment dire à un proche que son attitude est un frein à la possibilité d’entretenir une relation ?
Je me considère chanceux. Chanceux d’avoir eu des amis qui ont fait de leur mieux pour m’aider et me comprendre. Chanceux d’avoir vécu deux relations amoureuses qui m’en ont appris beaucoup sur moi-même, beaucoup sur la vie à deux et en société. Sans ces personnes, je me demande souvent jusqu’où le pire de moi aurait pu me mener.
Du droit à l’échec : plaidoyer pour la vulnérabilité
Ce n’est pas la première fois que j’en parle en ces pages, mais nous devons apprendre collectivement à vivre avec la vulnérabilité et les échecs. Apprendre à laisser sortir un peu de vapeur de la bouilloire. Pour ce faire, je crois qu’il faut dans un premier temps déconstruire l’idéal de réussite et son penchant, celui de l’échec. Je crois aussi qu’il faut créer des espaces pour partager, pour être vulnérables. Plusieurs ressources existent à l’Université et ailleurs pour nous aider à le faire. De nouvelles initiatives naissent aussi à tout moment.
Il est toutefois important de ne pas perdre de vue l’horizon social de la question de la santé mentale. Il faut arriver à réduire le stigmate, élargir notre vision pour comprendre les différents mécanismes sociaux qui influent sur notre santé. Il faut identifier les facteurs de stress, bien souvent collectifs, et travailler ensemble à les réduire. Cette étude, avec une participation large et une analyse fine des réponses, pourrait être un grand pas dans la bonne direction.
Nous sommes des créatures de notre temps ; nous ne sommes pas seuls.
Et toi, que se cache-t-il derrière ta façade ?