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Brexit : Durs désaccords sur un accord mou

Grosse semaine pour la Première ministre britannique, Theresa May. Voilà que près de deux ans après le référendum sur le Brexit, une ébauche d’accord sur la sortie de l’Union européenne (UE) a finalement été approuvé par son cabinet, le 14 novembre dernier. Un plan, qui au même sein de son parti, ne fait pas que des heureux. Un brouillard de dissidence et d’incertitudes engouffre Westminster.

Élaboré par les négociateurs britanniques et européens, le plan que May a présenté à ses ministres propose un Brexit « souple ». Ainsi les deux parties préservent certains acquis, notamment pour le commerce, l’immigration et la contentieuse frontière entre les deux Irlande, jusqu’à ce qu’un nouveau traité soit signé.

Les remainers n’en veulent simplement pas, espérant encore un deuxième référendum, alors que les brexiteers adoptant la ligne dure trouvent cet accord trop «mou».

« L’accord menace l’intégrité et l’indépendance du Royaume-Uni, en tant qu’unioniste, je ne peux me risquer de l’appuyer », écrit dans sa lettre de démission l’ex-ministre du Travail et des Retraites, Esther McVey.

Mme McVey n’est pas seule à quitter. Au total cinq membres du gouvernement, dont un autre du cabinet de Theresa May, claquent la porte. Le projet laisserait trop de concessions au continent, selon eux.

Malgré les démissions, le périple se poursuit. Le plan devra maintenant être accepté par le sommet de l’Union européenne, le 25 novembre prochain. Et, finalement, il pourra être présenté à la Chambre des communes du Royaume Uni. Pour cette dernière étape, avec un parti conservateur divisé, une coalition fragile et une majorité parlementaire faible, le succès est tout sauf certain.

La patate chaude d’Irlande

« Le dossier de l’Irlande du Nord est particulièrement important, l’implantation d’une frontière rigide pourrait raviver les tensions historiques entre les nationalistes irlandais et les unionistes britanniques », signale Philip Turle, le correspondant à Londres pour RFI, lors d’une conférence. Entre les années 1960 et 1990, les tensions avaient pris l’allure d’une guerre civile, causant plusieurs milliers de morts.

Le calme n’a été retrouvé qu’en 1998 avec l’accord du Vendredi saint. Dès lors, les frontières entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande sont demeurées ouvertes ainsi, que les Irlandais du Nord ont la possibilité de détenir la double citoyenneté irlandais et britannique.

Comme la République d’Irlande est membre de l’Union européenne, le Brexit remet en cause tous ces acquis. Pour pallier ces craintes, le plan de Theresa May prévoit donc que le Royaume- Uni demeure au sein de l’union douanière avec l’UE tant et aussi longtemps que le période de transition durera.

En revanche, l’Europe obtient le droit de décider quand le pays pourra qui quitter l’union sans qu’il y ait la possibilité d’un retour aux frontières rigides entre les Irlande. Cette concession déplait beaucoup aux brexiteers plus radicaux. « Jamais une nation démocratique n’a signé un accord la liant avec une entité externe sans avoir le contrôle des lois et des termes de sortie de cet arrangement », écrit dans sa lettre de démission Dominic Raab, maintenant ex-ministre à la Sortie de l’UE.

La chute de l’empire britannique

Certains médias et certains politologues prédisent que cette tentative d’accord pourrait se solder par la dissolution du gouvernement. Si 48 députés conservateurs – 15% de la députation du parti – signent une lettre de non confiance à l’égard de la Première ministre, le parlement sera appelé à voter sur la question. Advenant le cas, il ne serait pas impossible que Theresa May perde le pouvoir.

Si le plan n’est pas accepté, le Royaume-Uni se trouvera vraisemblablement sans accord pour le Brexit. À partir du 29 mars – date de départ de l’UE – toutes les ententes avec l’Europe, incluant celles sur le commerce et l’immigration, devraient ainsi être renégociées.

« S’il n’y a aucun accord, les règles et les tarifs de base, prévus par l’Organisation mondiale du commerce, entreraient en vigueur ce qui pourrait s’avérer désastreux pour l’économie et l’industrie britanniques », explique Philip Turle.

Selon M. Turle, les eurosceptiques britanniques sont nostalgiques de l’époque de l’empire. Ils croient que le Royaume-Uni sera plus fort et influent en étant indépendant.

Avec le contexte géopolitique actuel, le député libéral-démocrate Edward Davey, nuance cette croyance.  « Si le Royaume-Uni veut de l’influence dans le monde, il doit avoir sa place au sein de l’UE », soutient-il.

Qui fait peur à qui?

« Les remainers tentent de faire peur au monde en faisant présager un désastre économique et une séparation totale avec l’Europe, mais nous ne voulons pas sortir de l’Europe, nous voulons seulement sortir de l’institution antidémocratique qu’est l’UE », martèle le chroniqueur au journal Daily Express, Dan Townend, lors d’un débat à l’Université de Kingston.

Selon le journaliste, il n’y a pas de doute, le public britannique n’est aucunement avantagé par l’UE. Bruxelles n’est pour lui qu’une plaque tournante où se retrouvent lobbyistes et bureaucrates.

« Les grosses compagnies adorent l’UE parce qu’avec toutes ses régulations, il est beaucoup plus difficile pour les plus petits joueurs de leur faire compétition », soutient M. Townend.

Comme la plupart de la presse tabloïde britannique, la ligne éditoriale de son quotidien est très clairement en faveur du Brexit. Ces journaux à fort tirage auraient largement contribué à populariser l’idée. « Le Brexit est largement fondé sur des mensonges propagés par la presse et les politiciens », s’écrie à son tour Brian Cathcart, professeur de journalisme de l’Université, lors même débat.

Comme plusieurs remainers, il croit que le résultat du référendum s’est largement décidé sur les bases d’un argumentaire xénophobe plutôt que sur les enjeux économiques. Tant les eurosceptiques que les europhiles s’accusent ainsi mutuellement de mener des campagnes de peur.

Plaidoyer pour la seconde chance

Le climat politique qui en résulte est tendu. La population de son côté vit dans un genre de ras-de-bol collectif tant envers leur gouvernement qu’envers l’omniprésence du sujet du Brexit.

« Dans le référendum, les gens n’ont pas voté que sur la question, certains ont clairement voté avec la seule intention d’envoyer deux gros doigts d’honneur aux pouvoirs en place », théorise le député Edward Davey.

Prêt à tout pour arrêter ce qu’il qualifie de « désastre », sa désillusion sur l’enthousiasme du public britannique n’empêche pas M. Davey d’espérer un second référendum. Un souhait qui semble très improbable et qui n’a aucune garanti de donner un résultat différent.

 

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