Avec la multiplication des moyens de communication et l’anonymat relatif sur internet sont apparus – ou plutôt se sont proliférés- les trolls, ces créatures avec qui rien ne vaut de communiquer tellement la position défendue par ceux-ci se veut caricaturale. Ces-derniers sont aussi caractérisés par une fermeture au débat, une incapacité à s’élever au-dessus de leur propre perspective.
Un principe d’auto-défense de base sur internet est de ne pas nourrir les trolls, de ne pas se lancer dans une joute verbale qui finirait par vous drainer toute votre énergie car c’est exactement ce que ceux-ci désirent. En même temps, ignorer des propos aussi dérangeants et provocateurs laisse souvent une impression tout autant désagréable.
J’ai débuté cette semaine la lecture d’un ouvrage à en faire rougir les meilleurs trolls. Je prévoyais d’abord en faire la critique, mais j’ai plutôt décidé de directement m’en prendre aux intentions du messager. Mon troll est plutôt un dragon, et dispose de l’une des plus grosses tribunes actuellement au Québec. Que manquait-il à son arsenal de production idéologique ? Un livre !
Qu’est-ce qu’on en pense de François Lambert ?
Comme si on lui avait expressément demandé (et comme s’il n’étendait pas déjà son opinion à propos d’autant de sujets qu’il ne maitrise pas), François Lambert nous offre dans ce livre tout au je – pourtant rédigé par Christine Ouin et Maryline Cantin – ce qu’il pense de trente questions qu’il juge importantes au Québec ce moment.
En introduction, il nous avoue avoir « commencé à prendre des positions publiques il y a quelques années, avec la montée de [s]a notoriété. » Se disant conscient de la tribune dont il dispose et voulant éviter les polémiques, il prétend vouloir alimenter les échanges. On le présume donc rempli de bonnes intentions lorsqu’il qualifiait la semaine dernière Catherine Dorion « d’épaisse qui a l’air d’une BS » ou qu’il se permettait en pleine campagne électorale de faire des leçons de cuisine aux personnes disposant de 75$ par semaine pour se nourrir.
Toujours selon l’entrepreneur, s’informer sur l’actualité internationale suffirait à « comparer l’état des choses » et à « identifier où nous sommes performants ». À quoi bon une maitrise en analyse des politiques publiques à l’ÉNAP quand on peut « s’informer deux heures par jour » et trouver des solutions.
Le passage le plus savoureux et représentatif est celui où Lambert nous mentionne espérer « que les idées qui en ressortiront se rendront jusqu’aux gouvernements et qu’elles se convertiront en décisions. » Toute une prétention lorsqu’on pense au nombre d’études sérieuses qui meurent sur les tablettes chaque année.
Petite leçon de vie en société
En sociologie, on s’intéresse beaucoup à l’aspect éminemment construit des problèmes publics. Pour résumer simplement, l’attention du gouvernement, de même que les moyens qu’il peut engendrer pour régler des situations qu’on juge problématique est limitée de toute part. Ainsi, dans l’espace public, tous les acteurs et actrices, bien que disposant de moyens inégaux, sont conviés à produire des connaissances, soulever des enjeux, militer…
C’est ainsi qu’on peut mettre en équivalence, par exemple, un mouvement social comme la campagne pour le réinvestissement dans le communautaire et les différentes interventions publiques de notre bienaimé dragon. Dans l’espace public, l’écho dépend de plusieurs critères, notamment médiatiques, mais aussi sociaux. En continuant de nourrir le troll, en lui donnant une tribune, on entretient le mythe que ses idées méritent d’être débattues. En rejetant du revers de la main les revendications des groupes jugés trop militants, on exclut d’emblée leurs idées de la discussion.
Ainsi, il serait plus qu’insultant pour des personnes qui travaillent au sein d’organismes (ayant une multitude de mécanismes pour assurer leur représentativité, disposant de données probantes sur des réalités etc) depuis des années, que le gouvernement ose tendre l’oreille aux propositions d’un François Lambert.
Libre à lui de s’exprimer (il dispose d’ailleurs d’une multitude de tribunes). Libre à nous toutefois de ne pas lui accorder d’importance.