En 2019, s’informer sur l’actualité n’aura ja- mais été si facile et si compliqué à la fois. Plus facile parce que, grâce à Internet et aux réseaux sociaux, on peut accéder à une infinité de médias en quelques clics ; plus compliqué parce que la crédibilité des médias n’a jamais été autant ébranlée, la production et la diffusion de nouvelles étant accessible à n’importe qui.
L’éclatement du phénomène des fausses nouvelles ces dernières années ramène la question de l’objectivité au cœur du débat sur les médias. Les biais médiatiques, diront certains, polluent le débat public, désinforment la population et l’entrainent sur les mauvais enjeux de société.
Être biaisé
«This is extremely dangerous to our democracy». Ils sont une soixantaine de présentateurs de nouvelles américains du groupe Sinclair qui le répètent en cœur dans un montage vidéo devenu viral où tous récitent, sur des chaines de télévision différentes, le même énoncé informant les téléspectateurs que certains médias diffusent de la propagande tout en les mettant en garde qu’il s’agit d’un danger pour leur démocratie. Ce montage expose ironiquement comment il existe bel et bien une trame narrative biaisée au sein de certains médias aux États-Unis.
S’assurer de l’objectivité d’un média, d’un journaliste ou d’une nouvelle en particulier s’avère un exercice plus compliqué, qui demande un certain temps, et qui au final, ne donne pas de réponse absolue. Il existe toutefois plusieurs initiatives de vérification de faits sur internet, comme La vérif de Radio- Canada en période électorale, ou encore le site Media Bias/Fact Check, qui évalue les médias américains et les positionne selon leur appartenance à un côté ou un autre du spectre politique. La portée de telles initiatives est par contre limitée.
Aucun ne pourrait ainsi se proclamer à l’abris du biais. Choisir d’éclairer un sujet, c’est nécessairement choisir de laisser des zones d’ombre, même si le travail journalistique par la suite est rigoureux. Comme le rappelle le professeur titulaire au département d’information et de communication à l’Université Laval, Jean Charron : «d’un point de vue scientifique, le concept de biais est problématique. Parce qu’il suppose que le discours dévie de la réalité. Mais qu’est-ce qu’un discours conforme à la réalité ?»
En s’attardant au travail médiatique biaisé, on néglige souvent le fait que les individus, en soi, sont influencés par leurs propres biais cognitifs qui déforment leur jugement d’une façon éminemment subjective et confèrent un tout autre sens aux informations qui sont reçues et traitées.
Le biais de confirmation, de négativité, de croyance, de représentativité, d’omission, pour ne nommer que ceux-ci, sont autant de biais qui relèvent de l’individu, et non du média qui transmet l’information. Ces biais cognitifs favorisent la propagation du phénomène des fausses nouvelles et doivent être pris en compte lorsque vient le temps de parler des biais médiatiques.
Les règles ont changé
Il n’empêche que Jean Charron constate que le paysage médiatique a changé et que les médias en général sont plus ouvertement politisés qu’ils ne l’étaient autrefois. Ce phénomène est dû, selon lui, à un changement dans leur structure.
D’une part, l’arrivée de Fox News aux États-Unis dans les années 90 en tant que première chaine de nouvelles se déclarant ouvertement à droite politiquement a bouleversé les normes en place. De facto, tous les autres médias se sont alors fait attribuer des étiquettes sur le spectre politique en fonction de leur différenciation plus ou moins marquée avec la chaine.
La tradition, pendant un bon moment, voulait qu’un journal de nouvelles reste neutre, et que seule sa section éditoriale, réservée au rédacteur en chef, dévoile les couleurs politiques du journal. Si les politiques éditoriales des médias ont toujours influencé le traitement de l’information, Jean Charron explique qu’il s’agissait plus d’un «choix d’orientation», sans pour autant qu’il y ait de «caractère partisan».
D’autre part, la politisation des médias tient au surcroît de concurrence et à la déterritorialisation des différentes publications. Aujourd’hui, au lieu d’être uniquement généralistes en visant la population d’un territoire délimité, – celui de la distribution- les différents médias se spécialisent dans un créneau qui cible politiquement un public en particulier.
Cette spécialisation leur permet de se différencier de leurs concurrents en offrant un produit qui répond à une demande précise. M. Charron affirme que désormais, «le ciblage politique devient payant». Ce changement de pratique journalistique se traduit par une place beaucoup plus grande qu’auparavant accordée aux textes d’opinion, mettant les journalistes en avant-plan par rapport au journal lui-même.
La crise du financement, de pair avec l’avènement des réseaux sociaux, a aussi fortement contribué à la déstabilisation des normes et traditions journalistiques qui régnaient dans le siècle dernier. «Alors que la capacité de produire de l’information journalistique diminue, rappelle M. Charron, la capacité de diffuser l’information est en progression.»
Dépossédés de leurs moyens, les grands médias ont moins de budget pour payer beaucoup de journalistes, commander des articles d’enquêtes qui demandent du temps ou encore envoyer des correspondants à l’étranger. À l’inverse, grâce aux réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, les nouvelles peuvent circuler beaucoup plus rapidement qu’avant et atteindre beaucoup plus de gens en moins de temps.
Et alors ?
Instinctivement, on pourrait croire que la situation est pire qu’avant. Les biais médiatiques sont-ils devenus un problème de société qu’il faut aborder ? Un simple oui ou non témoignerait justement d’un biais à cet égard.
La comparaison avec le passé pour juger de l’état des choses est un réflexe à la fois utile et pernicieux. L’interprétation du passé étant toujours incomplète et un peu floue, elle ouvre nécessairement la porte aux biais de celui qui en fait l’exercice. Ceci dit, il permet aussi de remettre le présent en perspective et de le juger de façon plus critique.
Pour l’expert en journalisme et professeur émérite à l’Université Laval, Florian Sauvageau, le paysage journalistique a certainement évolué et ne ressemble plus à ce qu’il était autrefois, mais il ne saurait affirmer qu’il y a sensiblement plus de biais médiatiques aujourd’hui. Il soutient que «la possibilité de biais journalistiques a toujours existé», mais ce qu’il dénote, c’est d’une part que les médias n’offrent pas une assez grande diversité d’opinions, et d’autre part, que les individus restent campés dans leurs «bulles médiatiques»en restant accrochés à une seule source d’information.
Au fond, l’ampleur du problème des biais médiatiques dépend de l’ampleur qu’on décide de lui accorder ; le problème de la subjectivité étant difficilement objectivable. Certaines statistiques, scientifiquement viables, peuvent tout de même servir d’outil intéressant pour avoir un aperçu plus complet des habitudes de consommation des médias de la population. Le site du Centre d’étude sur les médias de l’Université Laval rend notamment accessibles des données mondiales liées aux pratiques de consommation médiatique, via les rapports du Digital News Report.