L’adaptation suscitera un engouement semblable à celui que le roman a connu lorsqu’il est sorti en librairie. Empreinte de sensibilité et truffée de répliques évocatrices et crues, la production présentée au Théâtre Périscope depuis le 9 avril dernier saura charmer un public en quête de poésie et de découvertes nordiques.
À la lecture du roman, paru en 2016, on se disait qu’une adaptation théâtrale rendrait hommage à la langue vive et rude de l’artiste nord-côtière. C’est le défi auquel s’est livré Maxime Carbonneau, qui propose une mise en scène ingénieuse et sobre. Sur la scène, la brochette d’inventifs acteurs évolue dans un décor presque entièrement suggéré. On y retrouve qu’une table pliante de cafétéria ainsi qu’un chariot roulant qui fait office de bar. L’éclairage, volontairement trop intense, et la musique, bien insérée sans être trop intrusive, servent à donner corps à ce quotidien de travailleurs de chantier qui vivent au rythme essoufflant du fly in, fly out.
Sobriété et langage coloré
Il faut dire qu’une telle sobriété sert bien l’œuvre de Soucy, laquelle campe son propre rôle avec sensibilité. On peut se concentrer sur le propos, tout en savourant les dialogues. Tout sonne vrai dans cet univers nordique où l’auteure se sent émerveillée par la splendeur des lieux et inconfortable à l’idée d’être témoin de la destruction du paysage, qui s’efface à coup de dynamitage. À ce sujet, on se souviendra d’une réplique accrocheuse à souhait : « La grosse crisse de montagne qui empêche d’avancer, watche-la ben, on va la faire sauter. » On se souviendra aussi de la magnifique scène qui réunit la protagoniste et Ken, son frère (polyvalent Gabriel Cloutier Tremblay). On parvient alors à saisir les nuances des émotions contradictoires inhérentes à cette vie particulière. Elle n’est pas simplement synonyme de fuite et d’isolement, mais aussi de beauté et de simplicité.
La pièce ne semble cependant pas empreinte d’un souci de didactique. Elle relate avant tout l’aventure d’une poète vingtenaire partie découvrir les lieux mystérieux et lointains où travaille son père (bouillonnant Jacques Girard). On sent bien le vif malaise des deux personnages qui, trop longtemps séparés par les impacts d’une vie de fly in, fly out, ont du mal à communiquer et préfèrent parler de long en large de tatouages douteux plutôt que d’aborder leurs réelles préoccupations. D’ailleurs, les silences prennent une place considérable, au point de devenir centraux dans l’intrigue. Cet équilibre entre les dialogues imagés et savoureux, les non-dits glissés de manière naturelle et l’aisance des comédiennes et comédiens à rendre crédible l’univers de Soucy fait de la pièce une belle réussite.
La production est présentée jusqu’au 20 avril prochain.