En 2017, 3,4 millions de Canadiens, soit 9,5 % de la population, vivaient dans la pauvreté. Impact Campus a rencontré trois personnes bénéficiaires de l’aide sociale et a cherché à dépeindre leur réalité. Loin des clichés et à coeur ouvert, ils témoignent sur leur parcours et leur quotidien.
Photos et témoignages par Lucie Bédet, journaliste multimédia
LINDA, 60 ANS, 800 $ PAR MOIS
« J’ai fini mon secondaire cinq. Je n’ai pas eu un contexte familial où j’ai pu faire des études. Si j’avais pu, j’aurais continué, je serais allée plus loin. J’aurais aimé ça aller à l’université parce que j’aimais étudier. « Les pauvres ne peuvent pas aller à l’université » : j’entendais ça quand j’avais dix ans. On peut dire que je suis restée dans la pauvreté.
J’ai travaillé dans toutes sortes de jobs, j’étais correcte, contente et fière de moi. Aller travailler, c’est une fierté, c’est quelque chose qu’on aime. Quand je n’étais plus capable de travailler, j’ai pris beaucoup d’années à le réaliser et à l’accepter. Se dire « plus capable », jamais, c’est dur à accepter.
Et je n’accepte pas de mentir lors d’un entretien où quelqu’un me demande si je suis en santé ou si je suis capable de faire des longues journées. Alors, non, je ne retravaillerai plus.
Faim et froid, encore aujourd’hui ?
À la fin du chômage, j’ai retrouvé du travail et j’ai été préposée aux bénéficiaires pendant des années. Mais il me fallait une autre job en plus. Quand j’ai demandé l’aide sociale parce que je n’avais pas assez d’argent, je dépassais les limites alors je n’avais pas le chèque plein. Maintenant, je ne travaille plus. Je ne reçois pas beaucoup par mois, un petit chèque.
Pas tout le monde est capable d’assumer la pauvreté. Quand on gèle l’hiver, qu’il faut marcher dans le froid, qu’on n’est pas habillée chaudement…c’est compliqué d’en parler.
Ce qui me dérange le plus, c’est que je vais être limitée dans tout. J’ai pas le choix. On fait une affaire à la fois, soit les bottes, soit les lunettes, soit une sortie, soit un repas, on choisit. Il me manque beaucoup de choses. Ça fait quinze ans que j’ai les mêmes lunettes, elles sont brisées, il faut que je les change, elles sont rendues trop grandes.
C’est comme ça, l’aide sociale, il y a trente jours dans un mois, c’est calculé pour trente jours. Je le remarque rendue au mois de décembre. On reçoit notre chèque avant le 1er janvier puisque c’est férié. Le mois de janvier commence avant et en plus, c’est un mois de 31 jours. Il est plus long, quelqu’un qui sait pas gérer son argent a plus de misère.
La famille
Je suis mère monoparentale. Quand j’ai eu mon enfant, il a fallu que je fasse les banques alimentaires. Aujourd’hui, je suis seule, je ne les fais plus.
Pourquoi ? Peut-être encore à cause de la honte que ça me donne. Ça n’a pas été tout le temps facile avec mon fils, c’était des montagnes russes.
Quand il a grandi, c’était plus dur. Enfant, on veut ci, on veut ça. Un enfant, ça veut tout. Mon fils a été un enfant gâté, même si je n’avais pas beaucoup d’argent.
Quand je retravaillais, ça allait un peu, mais la minute où je retombais à l’aide sociale, c’était les pires bouts. Rendu à l’adolescence, mon fils était dur envers moi. Juste avant qu’il me donne un coup de poing dans la face, je l’avais prévenu : « je vais te placer ». Il m’a répondu « t’es pas game ». Pas game est arrivé.
Mais je ne lui en tiens pas rigueur et il m’a remerciée par après. Maintenant, il a fait sa vie d’adulte très bien, il a des enfants, il travaille. C’est un cadeau pour moi.
Militer pour ses droits
Je lutte et milite pour un revenu social universel garanti. Que tout le monde soit égal, homme-femme, et que l’appauvrissement diminue. Alors l’Association de défense des droits sociaux de Québec, c’est comme ma famille. Ici, c’est mon lieu, c’est comme une appartenance, on s’entend bien, on peut parler des choses. Je me sens bien parce que je suis comme chez nous. On fait des comités, on parle, on donne notre opinion, on se fait respecter.
Crédits photos: Lucie Bédet