Le 7 et 8 mars derniers avait lieu la Fête des semences et de l’agriculture urbaine à Québec. L’occasion pour nous de découvrir le milieu de l’agriculture urbaine, qui émerge dans tous les quartiers de la Capitale-Nationale. Le site cultivetaville.ca regroupe une soixantaine d’initiatives à Québec, et de plus en plus d’acteurs apparaissent. Cette nouvelle façon de cultiver allie économie circulaire, saine alimentation, éducation au jardinage et intégration sociale.
Par Lucie Bédet, journaliste multimédia
Des plants de tomates et de laitues sur les toits, des salades et des fines herbes au sous-sol. On parle ici d’agriculture en ville. Comme complément à l’agriculture conventionnelle, l’agriculture urbaine se développe un peu partout dans le monde. Le Carrefour de recherche, d’expertise et de transfert sur l’agriculture urbaine recense sept fermes urbaines et acteurs majeurs du domaine à Québec.
Les premiers à se lancer dans la ville sont les Urbainculteurs. « Les débuts remontent à 2009 », raconte Marie-Hélène Dubé, responsable des communications de l’organisme. « Marie Eisenmann et Francis Denault, en voyant tous les toits inexploités, se sont dits qu’on pourrait y faire pousser de la nourriture. Ils ont commencé par un projet en basse-ville : à la soupe populaire de Lauberivière. »
Un jardin collectif voit le jour sur le toit de ce lieu d’aide pour les sans-abris. Un investisseur les soutient dans la démarche et l’organisme leur prête le toit en échange des récoltes. Cette première expérience permet aux Urbainculteurs de se faire la main : voir ce qui pousse bien, ce qui n’est pas possible, estimer les rendements, mais surtout, de montrer qu’une autre façon de produire est possible. La voie est tracée.
Écologie, engagement social : le jardinage comme solution
En 2011, plusieurs autres groupes entrent dans la course, notamment Craque-Bitume. Cet OBNL, descendant du
Collectif Éco-Quartier, est né d’une volonté des citoyens de la ville de Québec de créer un organisme actif en écologie urbaine. Depuis 19 ans, ses membres s’intéressent au compostage et aux jardins collectifs. « L’objectif est de changer les habitudes de vie en ce qui concerne les citoyens. On parle d’habitudes alimentaires, de consommation, de changements vers une vie plus saine. », explique Stéphanie Talbot, chargée de projet pour Craque-Bitume.
Stéphanie est une passionnée de jardinage : elle en parle avec des étoiles plein les yeux. Pour elle, les jardins collectifs sont une réponse viable pour beaucoup de problèmes qui se posent en ville.
« C’est à la fois écologique pour le verdissement, la réduction des îlots de chaleur, l’aspect local des aliments, mais c’est surtout social. On contre les déserts alimentaires en tendant vers une souveraineté alimentaire. On prône une activité récréative qui ressoude les générations, qui permet un partage de connaissances, qui combat l’isolement, qui encourage l’épanouissement personnel. » ‒ Stéphanie Talbot, chargée de projet pour Craque-Bitume
Cultiver pour éduquer
Un autre OBNL s’engage dans cette direction. Il s’agit de la Butineuse de Vanier. Ses missions principales sont de combattre l’insécurité alimentaire et d’assurer la promotion de la saine alimentation. Chaque midi de la semaine, ils offrent le repas à une quarantaine d’enfants des écoles alentour.
En 2011, Mathieu Bernier, directeur général, décide de se tourner vers l’agriculture urbaine. Accompagné de Gabrielle Dumont, technicienne en nutrition, ils s’emparent de ces techniques de production à la fois pour fournir leurs cuisines en denrées saines et locales, mais aussi et surtout, dans une démarche éducative. Pour les enfants, cours de cuisine, ateliers de semis, initiation au jardinage… La Butineuse aménage son toit avec 225 « smartpots » contenant tomates cerises, bleuets, persil plat, courgettes, framboises, poivrons…
« On a appris beaucoup par nous-même, à faire des semis, à contrôler les plants. On veut montrer que c’est réalisable par monsieur et madame Tout-le-Monde. », explique Gabrielle Dumont, qui s’occupe de l’agriculture urbaine dans l’organisation.
À Québec, le temps passe et les saisons changent vite. « Avec l’hiver, on cherchait une solution pour faire plus que ce qu’on ne faisait déjà. Pour que les enfants puissent faire ça presque 365 jours par année », raconte Mathieu Bernier. Parmi les solutions envisagées, les serres. Mais la Butineuse n’est pas dans le bon zonage. Alors vient l’idée des techniques de culture hors-sol : « On a commencé à voir les différents systèmes et il y a deux ans, on a pu installer des tours hydroponiques en sous-sol ».
Pour l’instant, leurs récoltes représentent moins de 1 % des aliments qu’ils utilisent en cuisine. « On fait des pistous, on agrémente nos salades, mais au Québec, on mange beaucoup de pommes de terre, de carottes, des aliments qu’on ne fait pousser que dans la terre », sourit Gabrielle Dumont. Pour le directeur général, l’agriculture urbaine va encore s’enrichir : « ce n’est surement pas encore assez développé pour être une solution viable à l’échelle d’un quartier. Mais les développements sont hyper rapides dans ce domaine. L’agriculture urbaine, c’est un beau complément et un moyen efficace d’éduquer sur le développement durable. »
L’hydroponie, un système qui se développe
Des plantes qui poussent sur les murs, dans des environnements contrôlés en humidité et en température, cela intrigue. « Les gens demandent beaucoup à visiter les soussols. Les enfants sont curieux aussi, ils posent beaucoup de questions », confie Gabrielle Dumont. Il est vrai que l’hydroponie est moins répandue que les jardins collectifs. Plus onéreux, c’est aussi un modèle économique à stabiliser. Malgré cela, certaines petites entreprises se lancent dans le filon.
C’est le cas de Rémi Carrier. Il a lancé son entreprise « L’Agriculteur Urbain » au printemps 2017, après avoir travaillé au Ministère de l’Agriculture et après avoir fait de la recherche. « J’ai étudié en agriculture, mais je vis en ville, pas en campagne. Je me suis dit que les technologies étaient là et j’ai décidé de faire le saut en culture hydroponique, à l’intérieur des bâtiments. »
L’avantage de l’hydroponie : les clients peuvent mettre les plants dans un verre d’eau ou dans différents systèmes autonomes de murs végétaux pour les garder jusqu’à plusieurs semaines. L’idée est pertinente, mais créer et développer son entreprise de A à Z comporte son lot de difficultés
« Tout était à faire : autant chercher les connaissances agronomiques que les connaissances d’ingénierie technique. J’ai décidé de construire mes propres systèmes de production, car je trouvais que c’était plus économique et que je n’allais pas dépendre de quelqu’un d’autre pour réparer ou autre. Ça fait deux ans et je suis encore dans le départ. », relate l’Agriculteur Urbain
Rentabilité et pérennité, les vrais défis de l’agriculture urbaine
Il le rappelle : les premières années demandent beaucoup de recherche et développement. Les investissements en matériaux et en main d’oeuvre sont importants avant d’espérer une rentabilité. « Il faut apprendre ce qu’est être entrepreneur. Ce n’est pas évident parce qu’en étant pionnier là-dedans, il y a peu d’informations et le réseau n’est pas vraiment structuré. »
Pour Stéphanie Talbot, chargée de projet à Craque-Bitume, le plus gros défi de l’agriculture urbaine est la pérennité. « Le financement, c’est plate mais c’est la principale difficulté. Les jardins collectifs nécessitent des employés : un animateur horticole et une chargée de projet. Le manque de financement fait que les équipements sont désuets, que ça manque parfois de ménage. »
Ainsi, le Réseau de l’Agriculture Urbaine à Québec fédère désormais les acteurs du domaine afin de promouvoir les actions des entrepreneurs du milieu. Cela permet de faire connaître les différents projets auprès de fondations et d’obtenir de la reconnaissance, notamment de la ville.
Un engagement de la collectivité pour plus de reconnaissance
Pour une diffusion de l’agriculture urbaine à plus grande échelle, il faut que la collectivité prenne sa part de responsabilités. Récemment, l’autorisation des potagers en façade et la légalisation officielle des toits jardins prouvent que les instances commencent à s’intéresser au sujet.
Marie-Hélène Dubé, des Urbainculteurs, le remarque également : « À Québec et dans d’autres villes, on voit qu’il y a de plus en plus de décisions pour faire se développer l’agriculture urbaine. C’est à la portée de tous, à n’importe quelle échelle. » Depuis 2017, l’organisme a aménagé des potagers sur demande de la ville. « Ce sont des places éphémères aménagées pour un ou deux étés sur la place Jacques Cartier ou la bibliothèque Gabriel Roy. Et on a de la demande pour des jardins collectifs et communautaires. »
Dans son rapport sur la vision du développement des activités agricoles et agroalimentaires 2015-2025, la ville de Québec souhaite « développer l’agriculture en milieu urbain » en testant des aménagements paysagers comestibles sur certains terrains publics et en facilitant l’implantation des serres sur les toits.
Elle envisage également de « doubler le nombre de citoyens ayant accès à un jardin partagé sur le territoire de l’agglomération. » Pour les acteurs du domaine, cette prise de position est positive et les retombées sont déjà visibles. On pense ici à la mise en place d’une production maraichère sur le site du Marché du Vieux-Port. Les légumes produits par les Urbainculteurs seront remis à des familles défavorisées. Québec entre tard dans la course à l’agriculture urbaine. Il faudra peut-être s’inspirer des dispositifs mis en place ailleurs pour démocratiser le milieu. Montréal compte déjà plus de 1200 initiatives.