Target number one : rater un peu sa cible

Inspiré de faits vécus, Suspect numéro un (Target number One) retrace l’histoire de Daniel Léger, « simple toxicomane », piégé par la GRC pour trafic de drogue en Thaïlande. Il passera plus de 8 ans de sa vie dans une prison de Bangkok d’où il pourra sortir grâce à l’enquête du journaliste Victor Malarek.

Réalisation et scénarisation : Daniel Roby
Distribution : Antoine Olivier Pilon, Josh Hartnett, Stephen McHattie, Jim Gaffigan, J.C Mackenzie, Rose-Marie Perreault, Amanda Crew, Don McKellar, Frank Schorpion.

Par Emmy Lapointe, cheffe de pupitre aux arts et à la culture

Une caméra mieux maîtrisée
Si pour Louis Cyr, Daniel Roby avait opté pour un usage de la caméra plutôt classique, cette fois-ci, il s’est réinventé. Quelques plans sont renversants (c’est littéralement le cas lors de la bataille dans la cuisine de la prison) et attiseront l’œil des plus attentifs/attentives. En fait, la facture visuelle en général est satisfaisante, surtout en Thaïlande; on aurait d’ailleurs préféré plus de temps là-bas qu’en Colombie-Britannique.

Les jeux d’Antoine-Olivier Pilon (les premières scènes de consommation surtout) et Jim Gaffigan sont très biens, et celui de Josh Hartnett semble avoir pris en maturité depuis Pearl Harbor.

Qu’en est-il du journalisme ?
Au début de l’été, j’ai pris un abonnement à deux journaux au format papier le samedi. C’était un peu un coup de tête, pas vraiment justifié. Pour être franche, je crois que c’était essentiellement pour avoir des mots-croisés en bonne quantité. Je me suis dit que je lirais surement quelques articles ici et là, mais je ne voyais pas que ces « journaux du samedi » allaient m’apporter de plus que les articles d’actualité que je lisais sur le web pendant la semaine.

Au final, je ne fais presque pas les mots-croisés (de toute manière la grille des férues est trop difficiles pour moi encore), à la place, je les lis mes journaux. J’y ai (re)découvert la forme du journalisme qui me plaisait le plus, le « journalisme de fond », le journalisme qui prend son temps.

Bien qu’il n’accote pas The Post et Spotlight, le film de Roby rappelle qu’une démocratie n’est jamais à l’abris des bavures, et que le journalisme demeure une barrière efficace et nécessaire contre celles-ci.

Un peu trop
La trame narrative sur deux espaces-temps fonctionne plutôt bien. Là où ça dérape, c’est à l’ajout du troisième point de vue. Deux auraient amplement suffi et permis le développement de pistes qui ont été entamées et vite abandonnées. Ça nous laisse l’impression d’un scénario en « étoile », alambiqué, voire un peu bancal.

Des femmes, quelles femmes?
J’allais écrire que Suspect numéro un est ponctué de personnages féminins inutiles, mais « ponctué » aurait signifié qu’ils auraient eu au moins une fonction minimale dans le récit, ce qui n’est pas du tout le cas. Les femmes du film interprétées par Amanda Crew et Rose-Marie Perreault ne servent que de miroirs à leurs homologues masculins.

À défaut d’avoir considéré « le deuxième sexe » (ou tout autre) à l’écriture de son long-métrage, Daniel Roby semble au moins y avoir inclus une critique de l’Occidental qui se croit tout permis, tout le temps, partout.

Une traduction qui fait mal
Je préfère, en général, les versions originales aux traductions, mais je n’en fais pas non plus une obsession. Toutefois, j’aurais dû en faire une ici et ne voir le film qu’en VO. Le casting mélange acteurs québécois et canadiens-anglais. Les seconds sont doublés dans un français qui n’a rien à voir avec le nôtre, mais les premiers se doublent eux-mêmes : le résultat est risible. Le clash est trop grand, et les échanges entre les acteurs doublés de façons différentes sont dissonants. J’offrirais le premier prix citron aux discussions entre Daniel Léger (Antoine Olivier Pilon) et Victor Malarek (Josh Hartnett); elles décuplent l’effet des répliques clichées. En gros, c’est cringe.

 

Crédits photo : Les Films Sévile

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