Au moment où j’écris ces lignes, je devrais être en train d’avancer un travail ou de faire mes lectures. Mais sans surprise, je n’en ai pas envie. Je n’ai pas non plus envie d’écrire cette lettre, peut-être plus besoin de le faire qu’autre chose.
La semaine dernière, j’ai reçu un courriel de ma faculté dans lequel on me demandait de répondre à un sondage quant à ma satisfaction face à mes « cours » en ligne. J’ai répondu le plus honnêtement du monde. J’ai fait une capture d’écran d’une des questions et de ma réponse à celle-ci. Je l’ai publiée en story sur Instagram. Une heure plus tard, j’avais plus de soixante réponses. Quatre heures plus tard, c’était plus de deux-cents. Le plus haut taux de réponses privées que j’avais eu par le passé, c’était peut-être une trentaine en 24 heures pour une photo de mon nouveau chat.
Je ne parlerai pas pour nous, parce que ce nous-là est un peu flou et que je n’ai consulté personne avant d’écrire ce texte. Je vais parler pour moi, mais je sais que nos noms et nos situations sont un peu interchangeables.
Je ne crois pas à la vision « clientéliste » de l’enseignement universitaire. Je ne me suis jamais vue comme une cliente qui achetait un service. J’ai toujours vu ça comme un genre d’échange, d’un temps investi pour moi et éventuellement pour les autres. Mais là, ça a un peu changé. Je termine cet automne mon baccalauréat. Et pour être franche, j’ai l’impression d’avoir acheté des crédits universitaires, pas d’avoir appris.
Ce trimestre, je suis inscrite à cinq cours. Avec les frais afférents, les frais de gestion, les frais technologiques, les frais de modernisation de la gestion des études, le LPU, alouette, ma facture s’est élevée à 1 928$. C’est 150$ de plus que l’an dernier pour même pas le cinquième de la qualité des cours que j’avais.
J’ai cinq cours. Deux d’entre eux ne sont que des PDF. Un autre n’est qu’un enregistrement MP3 de huit minutes par séance. J’ai un cours de trois heures sur Zoom (ce n’est pas l’idéal, mais c’est toujours mieux qu’un document PDF qui fait office de professeur), et un autre composé de capsules vidéo et de notes écrites (ce qui est peut-être le format idéal). Sinon, on utilise le forum, parce que la formation de la TÉLUQ offerte aux professeur.es (que visiblement les deux tiers n’ont pas fait) disait que c’était important de nous faire socialiser.
Breaking news, ces interventions sur les forums qui valent 1,2 % de notre note finale sont immensément superficielles et ne s’approchent en rien d’un véritable échange. Personne ne lit ce que les autres écrivent; je doute même que les professeur.es le fassent. Et je ne veux pas les blâmer (quoique certain.es titulaires intouchables auraient besoin d’être encadré.es), parce qu’ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils n’ont pas.
J’ai essayé de me dire que c’était temporaire, mais le temporaire semble s’étirer. À la mi-octobre, il était déjà décidé que ce serait la même formule cet hiver. Je comprends. Je sais. On ne peut pas renvoyer tous les étudiant.es aux études supérieures sur les bancs d’école demain matin, mais je pense qu’on nous a tassé.es pas mal vite de l’équation. On a été un problème facile à régler, parce qu’on est assez grand.es pour comprendre, parce qu’on est bon.nes avec les ordinateurs, parce qu’on sait tous et toutes que les problèmes informatiques ne se règlent pas en mettant la télévision au poste trois, parce qu’on est tellement souples, parce qu’on est des êtres de virtuel de toute façon, hein?
Il n’y aura probablement pas plus d’échecs qu’à l’habitude, peut-être pas plus d’abandons non plus. On nous dira qu’on s’est bien adapté.es. Les administrations des universités vanteront le mérite de leurs infrastructures technologiques (même si elles sont aussi solides que le premier Pont de Québec). On nous sortira des statistiques sur le nombre de diplômé.es. Parce que comment comprendre l’enseignement supérieur autrement que par les statistiques ?
Donc, parlons chiffres. Depuis le début de la session, j’ai pensé abandonner neuf fois mes cours, alors que l’école est une des choses que je préfère normalement. J’ai espéré me faire rentrer dedans par une voiture à au moins quatre reprises. J’ai appelé deux fois aux services de psychologie de l’Université Laval, mais on m’a dit que ma moyenne était trop haute, que ce n’était pas urgent. Il faudrait que je fasse crasher mes notes pour rencontrer quelqu’un.
Sur disons une dizaine d’ami.es proches, je mettrais ma main au feu que la moitié présente des symptômes dépressifs et/ou de troubles anxieux. L’étude Sous ta façade révélait déjà des statistiques inquiétantes dans un monde pré-Covid, alors on peut penser que la situation n’a fait qu’empirer.
Le pire là-dedans, c’est que je pense que je suis dans les privilégié.es en ce moment. J’ai un environnement correct pour étudier. Je n’ai pas de stress financier. Je peux continuer à travailler. Je sais que je peux toujours appeler quelqu’un si l’envie de me mettre devant une voiture devient trop forte. La seule affaire, c’est que je ne vois pas grand monde, parce que j’essaie de faire ma part, même si je trouve ça rough.
Sauf que pour dire vrai, je suis tannée de faire ma part. Je suis tannée qu’on fasse notre part, alors que personne ne nous écoute. Je ne sais pas à qui m’adresser, qui voudra bien nous écouter. Pas nous entendre, nous écouter. Et je ne parle pas juste de là, en période de Covid, juste tout le temps. Parce qu’on va se le dire, même si je ne pense pas que ce soit « une petite grippe », en ce moment, ce n’est pas nous qu’on protège de ce virus-là. On fait attention pour eux ou pour vous, ou pour le pronom que vous voudrez, mais vous, vous faites quoi pour nous, mettons ? Ce n’est pas votre problème qu’on soit la génération la plus anxieuse. Ce n’est pas votre problème si une fois de temps en temps, on a envie de se mettre un plomb dans la tête. Ce n’est pas votre problème si la terre se réchauffe. Ce n’est pas votre problème si nos diplômes universitaires ne valent rien d’autre que quelques dizaines de chiffres. Mais pourtant, vos problèmes sont les nôtres, et c’est normal, c’est ça une société.
Vous me direz que je m’étire, que je mélange des affaires, que je fais des amalgames douteux. Je vous dirai qu’encore une fois vous n’avez pas écouté. Au final, tout ce que je veux (ou tout ce qu’on veut), c’est que quand vous prendrez vos prochaines décisions par rapport aux mesures sanitaires, au budget alloué à l’éducation, aux services sociaux, vous penserez à nous, à nos envies de tout lâcher qui se font de plus en plus fréquentes, à notre besoin de voir nos ami.es, notre famille, parce que nous ne sommes pas qu’une génération d’écrans, je vous assure qu’on a besoin de vous, qu’on a besoin des autres.
Crédits photo : Éric Robitaille
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Letter to who will want to hear us
Emmy Lapointe, November 4, 2020
Translation by, Felix Gauthier
As I am writing these lines, I should be working on an assignment or doing my readings. But it comes as no surprise thatI don’t feel like doing it. I don’t even feel like writing this letter, but I felt I needed to, so I a, doing it anyways.
Last week, I received an email from my faculty in which I was asked to answer a survey about my satisfaction regarding my online “classes”. I answered in the most honest way possible. I screenshot one of the questions that also included my answer. I posted it on my Instagram story and an hour later I had more than 60 responses. Four hours later I had more than 200. The highest response rate I had in the past was probably around 30 in 24 hours for a picture of my new cat.
I won’t be talking for us, because this “us” is a bit blurry and I didn’t discuss with anyone before writing this text. I will talk about myself, but I know our names and situations are somewhat interchangeable.
I don’t believe in the “customer” vision of university education. I never saw myself as a customer that was buying a service. I always saw it as a type of exchange of time invested for myself and eventually for others. But now, that view has slightly changed. This fall I am finishing my undergraduate studies and to be honest, I feel like I just bought credits instead of actually achieving an education.
This semester, I am registered in five courses. With the related fees, management fees, technology fees, modernization fees for education management, the LPU, etc., my bill came up to $ 1,928. That’s $ 150 more than last year for not even the fifth of the quality of education.
Of my five courses, two of them are only PDFs. Another is simply an 8 minutes MP3 recording per session. I have a three hours class on Zoom (not ideal, but still better than a PDF that serves as a teacher), and the last is comprised of video capsules and written notes (which is probably the best format). In all other sessions we use a forum because the TÉLUQ training that was offered to teachers (which 2/3 of them visibly didn’t do) said that it was important to have student socializing.
Breaking news, these statements we draft on the forum that are worth only 1.2% of our final grade are exceedingly superficial and are nowhere close to any real socialization. No one actually reads what the others have written; I even doubt that teachers themselves do. And I don’t want to blame them (even though some unreachable profs would need to be managed), because they do what they can with what little they have.
I tried to convince myself that it was only temporary, but the temporary seems to be extending. In mid-October it was already decided that it would be the same format for the winter. I understand. I know. We can’t send university students back to lecture halls tomorrow morning, but I think we were set apart from the equation quite rapidly. We were a problem that was easy to deal with because we are old enough to understand, because we are good with computers, because we all know that technological problems are not all solved by turning the TV onto channel 3, and because we are so flexible. We are virtual beings anyway, aren’t we?
There may not be more failures than usual, maybe not more drop outs either. We will be told that we adapted well and university administrators will praise their technological infrastructures (even though they are as solid as the first Quebec Bridge). We will be shown statistics about how many students will have graduated. Because how else to understand higher education than with statistics?
So, let’s speak numbers. Since the beginning of the semester, I though about dropping out my courses nine times even though school is usually one of my favourite things. I hoped to get hit by a car at least four times. Two times I called Université Laval’s Mental Health Services, but I was told that my grade average was too high, that is was not urgent. If I were to receive the mental healthcare that I needed I would have to actually lower my grades.
I would stake my life that about half of 10 close friends show symptoms of depression or anxiety disorders. The study Sous ta façade (UEQ, 2019) already revealed concerning statistics in a pre-COVID world, we can only imagine that the situation has gotten worse.
The worst part in all of this is that I think I am one of the privileged one. I have a decent study environment. I don’t have financial insecurities. I can still work. I know that I can always call someone when the desire to stand on the highway becomes too overwhelming. The only thing is, I don’t see a lot of people because I try to do my part even though I find it exceptionally difficult.
But to be honest, I am tired of doing my part. I am tired that we are doing our part when no one is listening to us. I don’t know who to address or who will even want to listen. Not only hearing us but also listening to us. I am not only talking about now, during COVID, but all the time. Because let’s be real, even though I don’t think this is just “a small flu”, right now, it’s not us that we’re protecting from this virus. We are being careful for them, for you, or for any pronoun you want, but what are you doing for us? It is not your problem that we are the most anxious generation. It is not your problem if, once in a while, we want to put a bullet in our heads. It is not your problem if the climate is changing. It is not your problem if our university degrees aren’t worth anything else than a few dozen numbers. And yet, your problems are ours, and that’s normal, that’s what a society is.
You will say that I am stretching it out, that I am mixing things up, that I am making questionable amalgamations. I would tell you that once again you are not listening. At the end, all I want (or, everything we want) is that when you are making your future decisions concerning sanitary measures, the education budget, or social services, you will be thinking about us. I hope that you will be thinking about our desire to throw everything away (feeling that is showing up more and more often), and our need to see our friends and family. Because we are not solely a generation of screens; I assure you that we need you, that we need others.
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