Le cinéma de la Nouvelle Vague française en est un fascinant et intéressant pour plusieurs raisons, tant au niveau de l’influence sans précédent qu’il aura eu dans l’histoire du cinéma, que par son esthétique aux traits généralement uniques. Ce courant du tournant des années 60 possède quelques paradoxes sur lesquels il est captivant de s’attarder.en écrire un texte, parce que c’est ma job.
Par Marc-Antoine Auger – journaliste collaborateur
C’est encore matière à débat aujourd’hui de s’entendre sur la date de début de la Nouvelle Vague. La majorité s’entend pour dire que c’est un courant qui tire ses origines de la rencontre de cinq réalisateurs : Jean-Luc Godard, François Truffaut, Claude Chabrol, Jacques Rivette et Éric Rohmer, tous des réalisateurs qui, avant d’oeuvrer dans le milieu du cinéma, étaient critiques pour la célèbre revue Les Cahiers du Cinéma. Lorsqu’ils y travaillaient, ils passaient une bonne partie de leur temps à critiquer avec véhémence les films qui sortaient en France à cette époque-là. Ils prétextaient souvent un grand manque d’originalité, avec des histoires se ressemblant et des acteurs jouant à peu près toujours le même rôle, ce à quoi ces réalisateurs de la « vieille école » répliquaient en disant qu’ils ne savaient pas ce que c’était que de faire du cinéma. Ceci entraînant cela, nos critiques sont devenus quelque peu par la force des choses des cinéastes.
Traits et caractéristiques
Comme je l’ai dit plus tôt, la Nouvelle Vague est un courant qui est né grâce à des réalisateurs qui voulaient faire du cinéma différemment. Il est entre autres différent de par ses effets de montage où l’on peut souvent apercevoir ce qu’on appelle des jump cut. Ces jump cut, un effet de montage non transparent, nous rappellent constamment que nous sommes en train de regarder un film. Ce n’est pas du tout quelque chose que l’on va apercevoir dans le cinéma hollywoodien classique, duquel le cinéma de la Nouvelle Vague voulait se distancer, mais en même temps, pas tout à fait.
C’est un courant de cinéma qui s’inscrit bien dans son époque de renouveau, un style de cinéma qu’on peut considérer jusqu’à un certain point comme étant du cinéma féministe, parce qu’on y voit souvent des femmes épanouies, plus libres de leurs actions et de leur temps, elles sont loin d’être campées dans des rôles plus traditionnels de mères, de servantes et d’obéissantes. Ce sont des films qui vieillissent très bien à ce niveau-là, c’est encore des films qui sont assez rafraîchissants à voir environ 60 ans après leur sortie. Ces deux dernières caractéristiques, le montage syncopé et les idées féministes, on peut les apercevoir entre autres dans le film de Godard À bout de souffle.
Dans le cinéma de la Nouvelle Vague, on n’assiste pas toujours à des films avec une tension grimpante tout au long du film et un punch à la fin, une structure on ne peut plus classique que l’on retrouve partout et depuis toujours. On voit souvent des personnages qui déambulent, qui errent quelque peu sans but au gré du vent et de leurs humeurs. Cette idée d’errance est présente dans quelques films, comme Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda, À bout de souffle encore et Bande à part de Godard également, pour ne nommer que ceux-là.
Petite leçon d’histoire
Certains affirment que le tout premier film de la Nouvelle Vague est Le beau Serge, réalisé par Claude Chabrol et présenté en première le 6 juin 1958 à Vichy. Cependant, ceci est également considéré comme étant matière à débat, parce qu’il existe une certaine réalisatrice du nom d’Agnès Varda qui a sorti un film du nom de La pointe courte en 1954, qui possède quelques caractéristiques propres au cinéma de la Nouvelle Vague. C’est un courant qui s’est étiré jusque vers la fin des années 60 à peu près. La quintessence des films de la Nouvelle Vague est sans doute ces films de Godard, Varda, Truffaut et Alain Resnais, qui ont respectivement réalisé À bout de souffle, Cléo de 5 à 7, Les 400 coups et Hiroshima mon amour. Dans les films de Truffaut, on peut également rajouter Tirez sur le pianiste, un film magnifique avec Charles Aznavour dans le rôle principal. Lorsqu’on parle de cinéma de la Nouvelle Vague, ces 5 derniers films sont absolument des incontournables.
Les influences
Le cinéma de la Nouvelle Vague est un courant dont l’importance ne saurait être démentie dans l’histoire du cinéma pas juste européen, mais international. La Nouvelle Vague a fait des petits partout dans le monde, en Grande Bretagne, au Japon, au Brésil, en Tchécoslovaquie, en Australie, à Hong Kong, en Allemagne, etc. Les différents cinéastes qui en ont émergé n’étaient pas nécessairement habités par le désir de copier le cinéma de la Nouvelle Vague, mais bien animés par le principe de faire du cinéma différemment. C’est extrêmement intéressant de s’attarder sur cet aspect-là. Ça nous permet vraiment de constater à quel point le cinéma de la Nouvelle Vague en a été un totalement révolutionnaire.
Les paradoxes
Vous m’avez souvent vu mentionner À bout de souffle depuis le début de cet article. Il est particulièrement intéressant de s’attarder sur ce film qui est probablement le plus digne représentant de ce célèbre courant. Le film est sorti le 16 mars 1960, il célèbre donc ses 60 ans cette année. Les deux personnages principaux sont Michel Poiccard (Jean-Paul Belmondo) qui donne la réplique à Patricia Franchini (Jean Seberg). Cette dernière actrice avait des allures de garçon manqué avec ses cheveux courts (on l’oublie peut-être mais à l’époque de la sortie du film c’était un peu plus déstabilisant pour le public). Les deux personnages passent une bonne partie du film à vagabonder entre leur travail et diverses petites occupations, Poiccard fait la cour à Franchini qui ne se laisse cependant pas impressionner outre-mesure. Elle vit ses relations amoureuses et sa sexualité comme bon lui semble. C’est un film qui vieillit très bien si l’on s’attarde à cet aspect-là. À bout de souffle est le tout premier long-métrage de Jean-Luc Godard, et il réalise encore aujourd’hui.
Il y a une scène dans le film qui est particulièrement marquante, et on la retrouve peu de temps après le début du film ; Poiccard roule dans une auto en direction d’on ne sait trop où, et il se met soudainement à parler à la caméra, à briser le quatrième mur ! Ce jeu des acteurs avec le public est typique de la Nouvelle Vague, ça ne s’était jamais vu auparavant. Plusieurs cinéastes se sont mis à faire ça à l’occasion par la suite, il y en a bon nombre d’exemples, mais ceux qui me viennent en tête rapidement sont dans le film The Big Lebowski des frères Coen et plusieurs films de Woody Allen. Cette petite caractéristique propre à la Nouvelle Vague est un beau paradoxe, parce que lorsque l’on regarde un film, on aime être immergé dans l’histoire, dans un sens oublier que l’on regarde un film, avoir l’impression que ce à quoi on assiste est une autre réalité tout simplement. Cette dernière caractéristique, Godard n’en avait rien à faire, il trouvait ça stupide de prétendre en regardant un film qu’il n’était pas en train de regarder un film, que par la force des choses, lorsque tu regardes un film, tu es d’une certaine manière distant par rapport à ce film, une opinion vers laquelle je penche un peu plus personnellement, je dois l’admettre.
Un autre beau paradoxe par rapport à Godard, c’est que c’est un homme qui n’a jamais menti à propos de son amour pour le cinéma américain, comme les westerns, les comédies musicales, les films noirs, tous des genres dont on retrouvait une légion d’exemples dans les années 40-50 aux États-Unis, ce qui est tout de même intrigant lorsque l’on sait que le cinéma de la Nouvelle Vague voulait se distancier des traits formels du cinéma hollywoodien. Dans À bout de souffle, notre personnage principal prétend être un émule de Humphrey Bogart, acteur américain légendaire surtout reconnu pour ses rôles dans des films noirs tels que The Maltese Falcon, sorti en 1941 ou encore The Harder They Fall sorti 15 ans plus tard.
Je dois y aller d’une petite anecdote. Dernièrement, j’ai vu un film qui s’appelle Man of the West, un western américain réalisé par Anthony Mann et sorti en 1958. De l’aveu même de Godard, c’est selon lui le meilleur film sorti en 1958. À la fin de ce film, un personnage secondaire meurt (comme ça arrive souvent dans les westerns) en recevant une balle de fusil dans le corps. Après avoir reçu la balle, il marche une rue entière avant de tomber raide mort, à plat ventre, une séquence qui n’est pas du tout sans rappeler une scène très importante du film À bout de souffle. Le film À bout de souffle est parsemé de références à d’autres films américains des années 40-50.
Au bout du compte, c’est un beau contraste je dirais de constater que le cinéma de la Nouvelle Vague se distancie du cinéma hollywoodien au niveau formel, sans pour autant nier l’importance qu’ils ont et la qualité de certains de leurs films.