Pourquoi se soucier d’une élection qui n’est pas la nôtre ?

Cette question m’a rappelé à quel point ma génération est choyée, mais aussi à quel point elle ignore son histoire. Les États-Unis d’Amérique ne sont pas un pays comme les autres. Oui, c’est le plus puissant, le plus riche… Seulement, c’est aussi celui qui a instauré les institutions du monde moderne sur lesquelles nos sociétés ont développé leur économie.

Par Jimmy Lajoie-Boucher, journaliste collaborateur

Il y a moins d’un an, je soupais chez une amie, et nous discutions de tout et de rien. En regardant mon Facebook, j’ai reçu cette photo avec un bébé en noir et blanc suivi de la question : « Sachant qu’il s’agit d’Hitler, et que vous ne changerez pas son destin. Le tuez-vous ou non ? » Au-delà du débat moral d’une telle question, ce n’est pas ce qui m’a choqué. Je montre ladite photo, ainsi que la question la précédant à mon amie. Sa réponse ? D’un ton nonchalant presque hautain, elle me demande : « c’est qui Hitler? »… Bon. J’aimerais avoir un emoji qui exprimerait’ l’expression faciale que j’avais à cet instant — le flegmatisme et moi faisons deux.

Puissance économique et isolationnisme

Où est-ce que je vais avec ça ? C’est simple, une petite rétrospective de la place des États-Unis dans le monde s’impose pour mieux comprendre leur rôle. Depuis la révolution industrielle, que les Américains ont embrassé comme aucun autre pays, ils sont la première puissance économique. Ils ont pris le pas en 1870 pour être précis. Seulement, à l’époque, on parle d’un pays très isolationniste. Prônant la doctrine Monroe (1823), considérant comme une menace toute interventions des puissances colonisatrices européennes.

La Première Guerre mondiale (1914-1918)

Sous la présidence de Woodrow Wilson, l’Europe et ses colonies s’enflamment dans la Première Guerre mondiale. L’Amérique passe de l’isolationnisme à la neutralité. Cette position va bien la servir, et ce, dans bien des secteurs : financier, agricole, industriel et commercial, pour ne nommer que ceux-ci. L’économie américaine connaît un nouvel essor, et la bourse new-yorkaise passe devant celle de Londres. Les États-Unis passent de débiteur de l’Europe à créancier de celle-ci.

Deux facteurs vont jouer en faveur de l’entrée en guerre de l’Oncle Sam. L’Empereur Guillaume II, qui ordonne le torpillage de tous les navires, même neutres, qui commercent avec les pays de la Triple-Entente. Ce qui a pour conséquence de compromettre la liberté des mers. Ensuite, il y a l’interception d’un télégramme par les services de renseignements britanniques à l’attention de l’ambassadeur d’Allemagne à Mexico. Ce télégramme, envoyé par le ministre allemand des Affaires étrangères, Arthur Zimmermann, demande des négociations avec le Mexique pour se retourner contre les États-Unis.

Deuxième guerre mondiale (1939-1945), première puissance mondiale et guerre froide

Durant la Seconde Guerre mondiale, Franklin Delano Roosevelt veut, une fois de plus, conserver la neutralité de l’Amérique. Cette dernière va cependant vite déchanter. Les attaques contre Pearl Harbor vont la propulser, malgré sa volonté, dans le conflit contre l’Allemagne nazie et confirmer la place des États-Unis comme première puissance mondiale. Seulement, il y a plusieurs facteurs que nous, milléniaux, et probablement, post-millénariaux aussi, semblons oublier, et le cœur de ce texte prend tout son sens sur ces points.

Lorsque l’Allemagne nazie s’est effondrée, l’Europe est scindée en deux. À l’Ouest, les alliés sont menés par les États-Unis et à l’Est, l’URSS crée le pacte de Varsovie. On voit des idéologies extrémistes, qui ont mené l’Allemagne aux mains du 3e Reich fasciste — extrême droite —, mais des mouvements communistes — extrême gauche — ont aussi pris naissance. Aussi, en 1945, le vieux continent est complètement ravagé, il faut donc le reconstruire, seulement il n’a plus un sou en poche. Tous, ironiquement même l’URSS, ont demandé à l’Amérique comme puissance émergente de venir à la défense des anciens empires coloniaux. L’ironique URSS se place en soupirant, à l’Est, et compte bien profiter de l’affaiblissement des démocraties européennes pour élargir ses frontières. Des trois alliés principaux, États-Unis, Royaume-Uni et Union soviétique, ce dernier a des velléités impérialistes sur l’Ouest. Ne pas oublier aussi que les Soviétiques ont joué un rôle prépondérant dans le déclenchement du conflit 39-45, en raison du traité Molotov-Ribbentrop. Il y a donc une méfiance persistante du côté occidental, qui va chercher à écarter l’URSS du processus décisionnel, entre autres sur les procès de Nuremberg, mais aussi dans la toute nouvelle Organisation des Nations Unies. Quoi qu’il en soit, l’armée américaine, qui a maintenant un contrôle entier sur l’océan Pacifique, se voit demander une aide non seulement financière, mais aussi militaire pour assurer que les territoires conquis par l’Ouest soient sous leur protectorat. L’OTAN sera ainsi créée en 1949, et financée majoritairement par les États-Unis, et ce encore aujourd’hui, avec une quote-part bien supérieure à celle de ses alliés (Voir les chiffres de l’OTAN).

De nature plutôt solitaire

Contrairement à ce qu’on peut penser, il reste que l’Oncle Sam est très isolationniste politiquement parlant, mais aussi au niveau sociologique. C’est un peuple qui est de nature très patriotique, fier, mais qui se soucie très peu du côté hégémonique de leur politique. Ils ont tendance à vouloir garder leur richesse pour eux, et la puissance de leurs armées pour leurs intérêts. C’est probablement pour cette raison, ainsi que quelques autres, qu’un discours comme celui de Trump va toucher beaucoup d’Américains.

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle l’armée américaine s’impose chez son ennemi pour en diriger le pouvoir, les données à ce sujet semblent indiquer l’inverse. L’Amérique a été le premier pays du monde à miser sur une Allemagne indépendante après la Seconde Guerre mondiale, mais aussi sur une économie allemande indépendante pour le bien de l’Europe, et ce, dès 1946. La création de la République fédérale d’Allemagne est officialisée le 23 septembre 1949. Il en va de même pour l’occupation du Japon. L’entrée en vigueur du traité de San Francisco, le 28 avril 1952, rendra au pays du soleil levant son indépendance. En effet, il faut préciser que même si les États-Unis souhaitent rendre l’autonomie à chacun des pays conquis, ils ne sont tout de même pas dupes. Pour reprendre l’exemple japonais, un article de la constitution précisant que l’armée japonaise se veut défensive uniquement, sans possibilité d’offensive, est exigé dans l’accord.

Pour ces raisons, il faut donc user avec prudence du terme « d’hégémonie » américaine, qui fait référence à la suprématie d’un État sur les autres. Il est vraisemblablement davantage question d’un nouvel ordre mondial qui s’instaure, à la demande d’un monde très polarisé, qui va avoir besoin d’un chef de file rassembleur, dans la capacité d’assumer les fonctions de gendarme du monde. Un pays qui saura assumer un rôle de « banquier » du monde, on peut prendre comme exemple le plan Marshall et bien d’autres, et ces fonctions, visiblement, seuls les États-Unis sont en posture de les assumer. Les démocraties du monde entier s’alignent donc sur l’économie américaine bien sûr, mais aussi sur sa façon de vivre, le fameux soft power.

Aujourd’hui

Avec le passé, qui se porte toujours garant de l’avenir, nous sommes en droit de nous poser la question : en quoi les élections aux États-Unis peuvent-elles nous influencer et pourquoi s’y intéresser ? Si nous prenons du recul, nous pouvons, à première vue, conclure que le monde n’a plus besoin d’un gendarme, que les vieilles guerres sont terminées et que la guerre froide est derrière nous. Dans l’utopie où l’homme ne cherche pas à conquérir plus de pouvoir et s’accommode de ce qui lui est acquis, c’est en grande partie vrai. Cependant, si nous regardons le monde tel qu’il est, l’humain, et plus précisément, les politiciens, un pays va toujours chercher à prendre les devants. Dans le passé, ce principe, typique de l’homme, qui consiste à croire que SA réalité est la bonne, a mené à bien des guerres, des soumissions de peuples entiers et beaucoup d’autres abjections. Aujourd’hui, pourrions-nous croire que ce trait de caractère probablement tribal que nous, humains, avons, a disparu ? Est-ce du pessimisme d’en douter ? L’avenir saura nous le dire, d’ailleurs, bientôt, avec le changement de président américain qui va survenir le 20 janvier prochain, nous saurons quelle orientation le monde et la géopolitique prendront.

Auteur / autrice

Consulter le magazine