Honnête et tranchant, Fred Dompierre s’élance avidement dans son premier récit Presque 39 ans, bientôt 100. Pour le plus grand régal des amateurs de fraîcheur littéraire, sa plume originale dépeint crûment la réalité québécoise d’une génération X déboussolée. À table!
Par l’entremise de la rédaction de son journal intime, le protagoniste, un quasi quadragénaire alcoolique et désabusé, nous expose sa vision amère des divers éléments qui ont constitué sa vie montréalaise des quatre dernières années. Chaque chapitre porte magistralement une entête datée et colorée («Transition comme un fondu enchaîné avec du Jell-O vert») annonciatrice du nouveau sujet sur lequel il déversera sa bile.
L’homme, ficelé de ses démons – «Je suis pris avec mon corps et ce qui pourrit à l’intérieur» –, a un voile gris devant les yeux qui lui fait tout percevoir sur un ton morose. Il se débat pourtant; avec les incalculables quantités d’alcool qu’il ingurgite comme analgésique, avec le dosage parfait qu’il tente de concocter entre amoureuses et prostituées, avec son esclavage monétaire et son désintérêt pour son travail servile, avec son amour pour ses chats et leur tendance à être mortels. «J’ai presque quarante ans. Je n’ai jamais fait ou dit quoi que ce soit qui ait de l’envergure. Ma vie professionnelle est une fosse à purin qui part de chez moi et va jusqu’en Chine. Je n’ai pas d’enfant et personne avec qui en faire. Je ne sais plus du tout dans quelle direction barrer le navire, il y a des putes jusque dans mon tiroir à chaussettes.»
Grâce au style coloré, riche et personnel de Dompierre, ce récit fataliste n’en devient pas lourd pour autant. L’auteur étonne constamment avec de délectables combinaisons d’idées : «Marcel a récemment eu une rupture d’anévrisme dans son crâne. Et dans son couple aussi.» Ou encore «un myope de l’esthétisme». Le tout se déroule au «je», sans que jamais l’on en vienne à connaître le nom de cet homme entouré de «Monpatron», «Monamigraphiste», «Georges double V».
Bien qu’il saute d’un thème à l’autre (Dieu, cinéma, dépression, politique, chat, drogue…), il conserve une trame narrative solide sur laquelle il est agréable de naviguer. L’ambiance montréalaise des années 2000 y est très bien rendue, les repères sont justes, mordants et savoureux.
Comme si l’œuvre avait besoin de plus pour se faire valoir, Boréal nous fait le bonheur d’imprimer cette dénonciation fracassante sur du papier 100% postconsommation traité sans chlore, le tout fabriqué dans une usine fonctionnant au biogaz. «Je suis simplement conscient qu’avant de vivre dans un monde de rapports entre êtres humains, on vit maintenant dans un monde de biens-z-et-services. Je veux bien me résigner à cette déprimante constatation, mais de grâce, est-ce que nos biens-z-et-services peuvent être biens et serviables?»