Entre 1845 et 1852, la Grande famine happe de plein fouet l’Irlande et a bousculé des dizaines de milliers d’Irlandais dans les cales de bateaux qui les apporteraient au Québec. La province était alors dotée d’une politique de quarantaine où les arrivant.es devaient passer un séjour sur Grosse-Île afin de valider leur état de santé avant de poursuivre leur périple plus creux dans la province. En 1847, ces gens arrivaient en bien mauvais état puisque pris dans une épidémie de typhus. C’est dans ces récits qui racontent la mort et la maladie qu’Émile Proulx-Cloutier a fouillé afin de mettre sur pied la pièce de théâtre Grosse-Île, 1847, présentée à La Bordée jusqu’au 19 novembre.
Production : La Bordée | Texte et mise en scène : Émile Proulx-Cloutier | Assistance à la mise en scène : Christian Garon | Archiviste : Maude Charest | Distribution : Vincent Champoux, Nicolas Drolet, Hugues Frenette, Érika Gagnon, Marie-Hélène Gendreau, Véronika Makdissi-Warren, Élie St-Cyr, Sarah Villeneuve-Desjardins
Par Sabrina Boulanger, journaliste multimédia
Incarner les archives
On ne peut pas parler de la pièce sans soulever le travail de moine qui a été réalisé pour la création du texte des comédien.nes. En effet, toutes les paroles prononcées par ces dernier.ères proviennent de différentes archives : médias, journaux intimes, correspondances, écrits divers. L’idée est très intéressante et les propos sont d’autant plus percutants sachant que ce sont les mots choisis par de réels humains pour décrire leur situation. Le contexte de 1847 fait penser à celui de 2020 pour de nombreux aspects – le manque de soignant.es, les mesures d’hygiène, la quarantaine, la déconnexion entre la gouvernance et le terrain, les malades très ciblés dans la population, pour n’en nommer que quelques-uns. Ce sont des liens qui sont très bien mis en valeur par l’utilisation des archives et qui portent à la réflexion quant à nos gestions de crises. On n’est étonnamment pas si loin de 1847…
Des huit comédien.nes, un seul incarne un unique personnage – le docteur George Douglass – tandis que les autres sont formés de mix and match de textes sélectionnés. C’est la faiblesse de la pièce à mon avis : les personnages sont nébuleux et les bribes qui les composent ne parviennent pas à consolider une identité solide. Ça fait en sorte qu’on assiste souvent davantage à une énumération d’informations qu’à des échanges, les archives ayant vraisemblablement pour limite la fluidité requise au dialogue.
10/10 pour l’ambiance sonore
Si la scène semble plutôt terne lorsqu’on prend siège – un tas de feuilles au centre et un meuble de la taille d’un bureau à droite –, tranquillement, des éléments se joignent au décor : filet pour une projection étagée, voilage, bruitage caché. La scène s’anime de sons : clapotis de l’eau, vent dans les herbes, pelle à la terre. On nous fait visiter Grosse-Île par ses bruits, qui rythment habilement la pièce. Énorme coup de cœur pour le bruitage à l’avant-plan franchement ingénieux où on implique activement les comédien.nes. Chapeau à Josué Beaucage et Sarah Villeneuve-Desjardins pour cette prouesse!
Un historique d’épidémies
La pièce vaut le déplacement : si on arrive prêt.e à recevoir un grand volume d’information à haut débit, il y a beaucoup de plaisir à avoir. C’est beau, c’est original et c’est pertinent. Grosse-Île, 1847 fait lumière sur une histoire méconnue qui s’est déroulée il y a quelques générations sur cette île que l’on visite, sur ce fleuve que l’on boit et dans ce Saint-Roch où l’on assiste à cette pièce. C’est du théâtre d’une grande valeur historique qui propose délicatement une introspection sur la pandémie qui n’a pas fini de nous faire parler.