La semaine dernière était celle du théâtre aux grosses attentes, alors que j’allais voir les adaptations de deux textes, Là où je me terre de Caroline Dawson et Pompières et pyromanes de Martine Delvaux, qui me sont chers. Des attentes pas déçues.
Par Emmy Lapointe, rédactrice en chef
Là où je me terre – La Bordée – 31 octobre au 25 novembre
Texte initial : Caroline Dawson | Adaptation : Michel Nadeau | Mise en scène : Guillaume Pépin | Distribution : Ines Syrine Azaiez, Gaia Cherrat Naghsi, Mathilde Eustache, Nathalie Fontalvo, Carla Mezquita-Honhon, Raphaël Posadas et Kathy-Alexandra Retamal Villegas.
Caroline Dawson quitte le Chili en décembre 1986 à l’âge de sept ans. Récit d’une immigration « parfaite ».
Dès les premières minutes de la pièce, j’ai été frappée les décors. À mesure que les tranches de vie défilaient, ils se transformaient de façon très fluide. Ayant une affection particulière pour le texte initial, j’ai été ravie de voir que l’adaptation en était majoritairement constituée. Mais qui dit narration conservée dit aussi peu de dialogues, ce qui, en soi, ne constitue pas un problème. Or, dans une idée de parole partagée, de déhiérarchisation, il aurait pu s’agir d’un choix de mise en scène incohérent avec le propos de la pièce, mais Guillaume Pépin a évité ce piège en faisant s’alterner la narration entre toutes les comédiennes.
Les fragments tirés de l’œuvre de Dawson ont été choisis judicieusement – même si, comme lecteur.rice, on ferait toujours des choix un peu différents – alternant entre violence, tendresse familiale et humour (quasiment les seuls moments où je n’ai pas pleuré).
J’ai été contente et rassurée de voir sur scène des comédiennes exclusivement bipoc, ce qui, une fois de plus, était cohérent avec le contenu de l’œuvre, mais j’ai éprouvé un certain malaise à savoir la pièce être adaptée et mise en scène par deux hommes blancs, alors que c’est le récit d’une femme racisée. Et bien que le metteur en scène soit un ami de la famille, il n’en demeure pas moins que ça pose des questions sur le prisme à travers lequel ces voix sont transmises et représentées. Autre micro-bémol, l’utilisation un peu trop appuyée et récurrente du chœur manquait parfois, à mon goût, de subtilité.
Mais Là où je me terre demeure une œuvre qui, peu importe son médium, touche et questionne profondément. Le texte de Dawson n’a pas été sublimé par la mise en scène, parce qu’il se suffit en lui-même et que la mise en scène s’est mise à son service et c’était, à mon sens, la meilleure chose à faire.
Pompières et pyromanes – Le Trident – 7 novembre au 2 décembre
Texte : Martine Delvaux | Mise en scène : Le bureau de l’APA | Installation scénique : Jasmin Bilodeau | Vidéo : Mathieu Valade | Laurence Brunelle-Côté, Julie C. Delorme, Éléonore Delvaux-Beaudoin, Danya Ortmann, Hélène Rheault, Pascal Robitaille, Karine P. Bouliane, Jeanne Lavoie-Gagné, Béatrice Robitaille
Dans un texte à fragments, Martine Delvaux, sous les métaphores du feu, s’adresse à sa fille dont l’avenir, dans un contexte de crise climatique, l’inquiète.
Si quelques spectateur.rices auraient quitté la salle pendant les premières représentations, c’est que l’adaptation de Pompières et pyromanes surprend celui ou celle qui s’attend à une pièce dite classique. Il n’y a pas d’histoire, pas de personnages. Mais la pièce demeure pourtant fidèle à l’esprit du livre de Delvaux : fragmentaire, en train de se faire, et politique.
Les comédien.nes sur scène ne sont pas des professionnel.les, il y a des toasts brulées, plusieurs lectures du livre, des interactions avec le public, une projection vidéo, des affiches de manifestation, bref, on est peut-être plus près de la performance que de la pièce à proprement parler.
Mais cette performance ne choque pas en 2023 (on parle de gens qui lisent des extraits sur scène), elle m’a paru, malgré le propos inquiétant et concret – comment avoir des enfants dans un contexte de crise climatique –, soucieuse d’être accessible et de faire poindre ici et là des petites pointes de lumière.
Coup de cœur pour l’installation, la vidéo projetée, la prestation musicale d’Éléonore Delvaux-Beaudoin.
Crédits photo : Nicola-Frank Vachon