L’année 2023 a laissé place à plusieurs conflits géopolitiques un peu partout sur la planète. De l’Ukraine, en passant par le Proche-Orient et Taïwan, toutes ces zones de conflit auront grandement remis en question la stabilité de l’ordre mondial et continueront à le bouleverser en 2024.
Henri Paquette, journaliste collaborateur
La guerre en Ukraine
Après bientôt deux ans de conflit armé entre l’Ukraine et la Fédération de Russie, plusieurs observateurs se questionnent quant au moment où celui-ci aboutira. Cette guerre aura grandement retenu l’attention en 2023 puisqu’elle aura laissé place à des revirements assez spectaculaires.
Parmi ces revirements : la contre-offensive ukrainienne élaborée au printemps dernier. Remettons-nous dans le contexte. À la fin de l’été 2022, contre toute attente, l’Ukraine surprend la planète entière en repoussant les Russes des régions de Kharkiv (nord-est) et de Kherson (sud). La Russie se trouve donc retranchée aux territoires de l’Est (le Donbass) qu’elle a annexés depuis le début du conflit. C’est ainsi qu’au printemps 2023, l’armée ukrainienne planifie sa contre-offensive dans l’espoir ambitieux de récupérer le Donbass. L’Ukraine pouvait, à ce moment, compter sur l’aide financière et militaire des pays occidentaux.
Visiblement, ce ne fut pas si simple. Dans les derniers mois, ce conflit s’est vite transformé en une guerre de tranchées, rendant ainsi les reprises de territoire extrêmement difficiles pour l’armée ukrainienne. La Russie dispose évidemment d’avantages que l’Ukraine n’a pas. Sans compter les deux républiques séparatistes qui administrent l’est du pays depuis presque 10 ans maintenant, la population russe est beaucoup plus volumineuse dans cette partie de l’Ukraine et permet au régime de Vladimir Poutine d’envoyer plus de soldats combattre au front.
L’Ukraine dépend aussi de l’Occident pour assurer son effort de guerre. Et, à l’heure où l’inflation frappe de plein fouet les pays d’Europe et d’Amérique du Nord, beaucoup de gouvernements remettent en question leurs dépenses réservées au soutien de l’Ukraine. D’autant plus que la contre-offensive de l’armée ukrainienne semble être un échec. Les États occidentaux se posent alors des questions : la guerre d’usure est-elle vraiment la solution? Ou ne vaudrait-il pas mieux de mettre la table pour des négociations entre la Russie et l’Ukraine?
Reste à voir si les pays occidentaux financeront encore avec autant d’enthousiasme cette guerre en 2024. À l’heure actuelle, une fatigue semble s’installer. Un potentiel désinvestissement de l’Occident pourrait être dramatique pour l’Ukraine, la Russie étant en posture gagnante actuellement.
La guerre Israël-Hamas
En octobre dernier, le globe au complet a été témoin d’une recrudescence du conflit israélo-palestinien. L’attaque terroriste du groupe islamiste Hamas sur des civils israéliens en a choqué plusieurs. Depuis, le gouvernement israélien est impliqué dans une guerre sanglante avec le Hamas dans la bande de Gaza. Malgré son objectif initial d’éradiquer le Hamas, les principales victimes de ce conflit ont été des civils palestiniens. En date du 22 novembre, un équivalent de 115 enfants par jour avait été tué par l’armée israélienne selon les Nations Unies (UN Press, 2023).
Au-delà de cet avenir incertain pour la Palestine, force est de constater qu’avec la résurgence du conflit, le Proche-Orient est encore le lieu par excellence pour faire avancer les intérêts géostratégiques de certains pays.
Le premier exemple est celui des États-Unis. Depuis les années 1960, ceux-ci sont un allié indéfectible d’Israël. Son soutien à l’État juif et les interventions américaines dans la région ont longtemps servi à déstabiliser les potentiels alliés soviétiques que représentaient les grandes républiques arabes comme l’Égypte ou la Syrie. Aujourd’hui, même si la guerre froide n’est plus, la Russie postsoviétique reste un acteur très influent au Proche-Orient. Et depuis quelques années, ses relations avec Israël ne vont pas bon train, ce qui s’est manifesté par un grand rapprochement avec le Hamas. En effet, la Fédération de Russie n’a pas condamné l’attaque terroriste du 7 octobre dernier et elle a aussi réclamé un cessez-le-feu à l’ONU en ce qui concerne la situation à Gaza, contrairement aux États-Unis. Cette série d’actions laisse croire, aux yeux de plusieurs pays, que la Russie appuierait le Hamas.
Sachant très bien que la Russie gagne de l’influence dans cette région du globe (mais aussi ailleurs, jusqu’en Afrique même), les États-Unis veulent garder un pied en Israël pour empêcher cette montée en influence de la Russie au Proche-Orient.
Il ne faut surtout pas omettre d’analyser l’implication des pays arabes et musulmans, comme l’Arabie saoudite et l’Iran. Les dirigeants de ces deux pays se sont exceptionnellement ralliés afin de dénoncer Israël pour les crimes qu’ils considèrent qu’elle a commis contre des civils palestiniens. Certains États arabes, à savoir l’Algérie et le Liban, sont allés jusqu’à demander aux autres pays arabes de rompre leurs relations diplomatiques avec Israël. Cependant, plusieurs États arabes ont normalisé leurs relations avec Israël dans les dernières années. C’est le cas entre autres des Émirats arabes unis et de Bahreïn. Ces derniers doivent peser leurs choix très attentivement, parce qu’ils sont les principaux fournisseurs d’Israël et des pays occidentaux en pétrole. Ils ne veulent pas se mettre les Occidentaux à dos, mais souhaitent en même temps appuyer ouvertement la Palestine afin de maintenir leur légitimité auprès de leurs populations respectives et ainsi éviter des révolutions.
Il faudra suivre de près les évolutions de ce conflit en 2024. Un seul faux pas d’un dirigeant ou une révolte populaire pourrait faire évoluer le conflit israélo-palestinien en un véritable brasier au Proche et Moyen-Orient.
Le conflit Chine-Taïwan
Bien qu’il ait moins fait les manchettes que les deux autres, ce conflit a tout autant marqué l’année 2023. Souvenons-nous des pressions inquiétantes que la Chine a effectuées auprès du petit État insulaire en avril dernier. L’armée chinoise avait alors simulé un encerclement total de l’île pour lancer un sérieux avertissement aux autorités de la « province rebelle » (Courmont, 2011). Cet épisode survenait tout juste alors que la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, rencontrait l’ancien président de la Chambre des représentants des États-Unis, Kevin McCarthy.
En septembre, le ministère de la Défense de Taïwan avait répertorié 103 avions de guerre chinois autour de son territoire, parmi lesquels 40 auraient pénétré dans l’espace aérien taïwanais. À cela s’ajoutent neuf bateaux de guerre chinois. L’île était alors en état d’alerte, ses dirigeants statuant que le nombre de dispositifs militaires chinois à proximité avait atteint un nombre record.
Sur la scène mondiale, notons que les États-Unis et la République populaire de Chine se disputent le contrôle du marché taïwanais des semi-conducteurs, et ce, pour des raisons stratégiques et économiques. Ces technologies sont omniprésentes et sont utilisées dans bon nombre de dispositifs électroniques, par exemple les téléphones portables. Rien qui ne puisse alléger les tensions en mer de Chine méridionale.
Toujours dans une dimension internationale, les sommets diplomatiques s’étant déroulés cette année entre les présidents Vladimir Poutine et Xi Jinping n’augurent rien de bon pour l’Occident. Les deux dirigeants faisaient savoir au monde entier leur intention de coopérer et de se lier d’amitié pour remodeler l’ordre mondial. La Chine s’inspirerait-elle de son « ami », la Russie, pour éventuellement annexer Taïwan? La question se pose…
Les tensions sans cesse grandissantes autour de l’île de Taïwan pourraient très bien évoluer en un affrontement direct entre, certes, Taïwanais et Chinois, mais aussi entre Américains et Chinois. Rien n’empêcherait aussi la Russie de s’y impliquer économiquement. Cette zone de tensions n’est donc pas à négliger pour 2024 et les années futures.
Bibliographie
Courmont, B. (2011). Souveraineté, démocratie et identité : la question permanente et sensible de la nation à Taiwan. Revue internationale de politique comparée, 18, 87-104. https://doi.org/10.3917/ripc.181.0087
UN Press. (2023) Two Thirds of Gaza War Dead Are Women and Children, Briefers Say, as Security Council Debates Their Plight | Consulté le 25 décembre 2023, à l’adresse https://press.un.org/en/2023/sc15503.doc.htm