Alors que les lumières se rallument après ce qui nous a semblé un très court moment, nous découvrons nos deux acteurs entourés d’une quinzaine de techniciens. Figures de l’ombre, ils nous ont permis de plonger sans retenue, les yeux grands ouverts, dans ce rêve protéiforme à l’allure de quête existentielle.
Par Camille Sainson, journaliste multiplateforme
Trois personnages, trois vies, trois murs. Un demi-cube qui tourne et nous fait traverser les époques, abolissant la distance entre l’Amérique et l’Europe, entre New York et Paris. Si la pièce écrite par Robert Lepage en 1991 se voulait déjà multidisciplinaire, la nouvelle version, avec la scénographie de Carl Fillion, amplifie cette idée. Musiques, vidéos, décor mécanique, suspension des acteurs dans les airs, le spectacle est innovant, dynamique et ne perd pas en rythme !
Nous voguons donc entre l’effervescence artistique de 1949 et la solitude de 1989, entre un Miles Davis aphone qui fait de sa trompette une voix éclatante, et un québécois qui essaie de se raccrocher à son passé.
Et Jean Cocteau dans tout ça ? Tantôt funambule aérien, récitant sa Lettre aux Américains, tantôt narrateur intermittent, il est le lien nouant les époques entre elles, le symbole orphique qui parvient à sublimer le désespoir de nos personnages. Parce que si quarante ans les séparent, ils font pourtant face au même défi : tenter d’oublier celle qu’ils ont aimée. Eurydice n’est donc plus qu’un mirage, une émanation du passé que seul l’art peut transcender. Les Aiguilles et l’opium est finalement un parcours initiatique pour ces âmes esseulées à la recherche d’un sens nouveau à donner à leur vie. La question étant : comment réussir à se sevrer des opiacés – et de l’amour –, sans finir prostré sur le sol d’une chambre d’hôtel miteuse et inconnue ?
Enfin de retour à domicile, la pièce de Lepage aborde des thèmes toujours actuels qui résonnent en chacun de nous, car qui peut se vanter de n’avoir jamais eu le cœur brisé ?
Robert Lepage explique d’ailleurs l’une des principales modifications apportées à cette nouvelle version : « J’ai […] senti le besoin cette fois-ci d’inviter d’autres interprètes sur scène pour évoquer le célèbre trompettiste et même faire apparaître furtivement Juliette Gréco. Vous me direz que pour un spectacle solo, ça commence à faire beaucoup de monde, mais j’ai découvert avec le temps qu’il faut parfois une foule pour mieux exprimer la solitude. »
Et qui de mieux qu’Olivier Normand et Wellesley Robertson III pour incarner cette immense solitude qui les habite, pour mettre en mot et en musique toutes les émotions qui les traversent ? Parce qu’au-delà de leur talent d’acteurs, ils doivent également se faire acrobates pour que toute la magie du spectacle nous transporte dans cet univers musical où les murs s’abolissent et laissent place aux étoiles.
Vous avez jusqu’au 14 avril pour découvrir cette pièce au Diamant !