Ce dimanche 7 juillet, tous les français.es de plus de dix-huit ans ont été appelé.es aux urnes pour élire leurs nouveaux députés. Les résultats sont sans appel et pour le moins inattendus : le Nouveau Front Populaire (NFP) arrive en tête, suivi par le parti présidentiel (RE). En troisième position seulement, alors qu’il était annoncé vainqueur, arrive le Rassemblement National (RN).
Retour sur ces élections législatives historiques avec Fanny Martin, étudiante au doctorat en science politique à l’Université Laval, dont la thèse s’intéresse au cadrage du discours électoral sur l’enjeu de l’immigration lors des élections présidentielles françaises de 2002 à 2022.
Par Camille Sainson, journaliste multiplateforme
7867. C’est le nombre d’étudiant.es d’origine française à l’Université Laval, soit 16% de ses effectifs. Ce n’est donc pas un hasard si nous avons choisi de nous intéresser à une situation politique, certes extérieure au Canada, mais qui touche finalement un bon nombre d’étudiant.es.
« La France vient d’assister à un miracle politique » (correspondante de la Süddeutsche Zeitung allemande)
« Coup de théâtre dans les élections françaises » (Spiegel)
Mais qu’est-ce donc que ces élections législatives et pourquoi sont-elles si importantes ?
Il faut comprendre qu’il s’agit d’élections anticipées qui n’auraient dû avoir lieu qu’en 2027. Elles sont une conséquence directe de la dissolution de l’Assemblée nationale, « geste que le président [Emmanuel Macron] a justifié dans une volonté de clarifier la situation politique, au regard de l’avancée du parti de l’extrême droite (RN) aux élections européennes du 9 juin 2024 » nous explique Fanny Martin.
Celle-ci continue et souligne que ces élections sont importantes pour trois raisons :
- L’Assemblée nationale, avec le Sénat, détient le pouvoir législatif, elle a pour mission de faire voter la loi
- Elle est la seule à pouvoir mettre en cause la responsabilité du gouvernement
- Le Premier ministre, chef du gouvernement, est issu du parti ayant obtenu la majorité aux élections. Habituellement, il fait partie du même camp politique que le président, sauf dans de rares cas de cohabitation, comme aujourd’hui.
La situation est historique puisque ces législatives ont été déclenchées par le président dans un contexte politique instable et qu’il en résulte une cohabitation – phénomène qui n’a pas eu lieu depuis 1997 et le mandat de Jacques Chirac. Or une cohabitation peut mener à un blocage institutionnel, donc à un immobilisme jusqu’aux prochaines présidentielles.
Quid des résultats en Amérique du Nord ?
L’Amérique du Nord (USA et Canada) forme la circonscription numéro une des Françai.ses établis hors de France sur les onze existantes et réparties sur les différents continents.
Les législatives ainsi que les élections des conseillers des Françai.ses de l’étranger sont les deux seuls votes qui peuvent être réalisés par internet. Pour le reste, tous les expatrié.es inscrits sur les listes électorales consulaires doivent se déplacer dans leur bureau de vote respectif. Or, il y en a très peu : seulement cinq au Canada et dix aux États-Unis. Autant dire que si vous habitez à Gaspé, il faut vraiment être motivé pour faire plus de sept heures de route pour aller voter. C’est peut-être ce qui explique la différence entre les 15% de participation aux européennes et les 36% aux législatives.
Au niveau des résultats, le parti présidentiel arrive en tête avec le député Roland Lescure élu à 54% devant son concurrent NFP, Oussama Laraichi (45%) – fun fact : c’est un ancien membre de l’équipe de natation Rouge et Or.
Mais lorsqu’on y regarde de plus près, on observe qu’au Canada les résultats sont globalement inversés avec une majorité de votes pour Oussama Laraichi. Il est d’ailleurs impressionnant de constater que Montréal représente le tiers des votants de toute la circonscription d’Amérique du Nord !
Si le parti d’extrême droite (RN) a obtenu un score beaucoup plus faible qu’en métropole, il est toutefois arrivé en troisième position lors du premier tour des législatives avec la députée Jennifer Adam qui, disons-le en passant, n’a jamais mis les pieds en Amérique du Nord. Malgré tout, le RN n’est arrivé premier dans aucune des onze circonscriptions de l’étranger. Fanny Martin explique que « quand on est davantage confronté à la diversité, on est moins susceptibles d’être effrayés par des thématiques identitaires ou des arguments anti-immigration ».
Un recul de la tolérance ?
En France, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) a pour objectif de « mesurer » l’évolution des préjugés chez les citoyen.ennes grâce à l’Indice longitudinal de tolérance (ILT) créé en 2008 par Vincent Tiberj. Cet indice se répartit sur une échelle de 0 à 100. Plus il se rapproche de 100, plus il reflète un niveau de tolérance élevé. Pour l’année 2023, l’indice se situe à 62, un recule de trois points par rapport à l’année 2022. « Ce repli s’inscrit (…) dans un contexte de défiance vis-à-vis de l’Autre et de la diffusion d’un discours haineux dans certaines sphères politiques et médiatiques où la figure de l’immigré est rendue responsable des maux de la société. » Pas étonnant donc que ce recul s’observe directement dans les urnes avec une nette progression du Rassemblement National. En effet, même si nous avons évité le pire avec une majorité absolue, il faut quand même constater qu’il augmente d’une cinquantaine de sièges son nombre de député.es à l’Assemblée.
Pour que la lutte continue
L’Histoire s’écrit un peu plus chaque jour. Les législatives ont enregistré un taux de participation de 67%, du jamais vu depuis 1997 ! Et quel revirement de situation que la victoire du Nouveau Front Populaire que même les prédictions n’avaient pas anticipé ! Ce bref répit doit surtout nous montrer que la lutte contre toute forme de haine n’est pas terminée. Que ce soit en France ou à l’étranger, nos démocraties ne devraient jamais être tenues pour acquises. Nos droits non plus. Il n’y a qu’à tourner un peu la tête pour voir disparaître le droit à l’IVG aux États-Unis. Il ne faut pas non plus oublier que chaque voix compte et que nous avons encore du chemin à parcourir. Pour les droits des minorités, des LGBTQIA+, des femmes, pour notre avenir, notre planète, pour tout ce qui nous tient à cœur et pour tout ce qui nous rassemble. Parce que nous sommes tous des émigrés.