Après Les marchands en 2009, le dramaturge Joël Pommerat revient au Carrefour international de théâtre avec l’une de ses plus récentes créations, La grande et fabuleuse histoire du commerce.
La pièce, écrite et « mise en scène » – même s’il préfère parler d’écriture scénique – par Pommerat, nous plonge dans l’impitoyable univers des VRP : voyageur, représentant et placier en France, autrement dit de la vente. 5 hommes sillonnent les routes de l’Hexagone afin de vendre leur produit, dans un premier temps des armes de défense. Parmi ceux-ci, Frank, jeune recrue un peu perdue et malmenée par ses collègues, qui prendra vite du gallon. On le retrouvera quelques années plus tard dans la figure du chef de troupe de jeunes vendeurs – les rôles sont donc inversés –, devenant exactement tout ce qu’il méprisait alors qu’il débutait : sans cœur ni pitié ni morale, n’hésitant pas à faire acheter des babioles inutiles à des gens déjà sans le sou en temps de crise.
S’inscrivant parmi l’une des créations par année pendant 40 ans que la compagnie Louis Brouillard s’est donnée comme défi en 2001 – un sacré pari théâtral qui persiste toujours –, La grande et fabuleuse histoire du commerce ravit et déconcerte à la fois. Ravit parce que le théâtre réaliste qui y est représenté doit être sûrement proche, justement, de la réalité de ces vendeurs itinérants. Ce but étant avoué, ce type de théâtre atteint parfaitement sa mission, celle d’étudier l’humain dans toute sa complexité et son ambivalence. Ici, les personnages sont à la fois sympathique et odieux, attachants et méprisables, car évoluant au gré des situations et des sentiments, sans que jamais une constance ne gagne l’autre. On rit souvent, mais toujours d’un rire un peu jaune, car derrière la situation comique se glisse parfois un arrière-fond plus tragique. De par ce fait, chapeau à Joël Pommerat pour son étude au scalpel de l’être humain et, en l’occurrence, du monde du commerce – les spécialistes y trouveront leur compte.
Cependant, La grande et fabuleuse histoire du commerce déconcerte aussi par sa forme sobre et sans artifices, si ce n’est quelques meubles de chambre et un faible éclairage. Sa structure est composée de scènes entrecoupées de transitions souvent longues et techniquement ratées dans un noir de salle pas toujours parfait et dans les déplacements de décor – même si toute l’action se passe en huis-clos dans une chambre d’hôtel. Ainsi, le rythme de la pièce en souffre un peu, et le spectateur pourrait rapidement décrocher. Heureusement, les comédiens, globalement bons sans donner une performance étincelante (mais ce n’est peut-être pas l’endroit), et surtout les dialogues vivants, très « franchouillards » dans les expressions, sauvent la mise. Un registre qui touchera peut-être moins les Québécois que les Français, plus habitués à ce genre de discussions enflammées. Austère, la pièce a le mérite de poser les vraies questions sur cette quête de pouvoir via la consommation. Le discours aurait cependant être beaucoup plus vivant avec un brin de dynamisme et de flamboyance dans la mise en scène. Déception, le nouveau Pommerat ? À chacun de se faire une tête.
Quoi ? La grande et fabuleuse histoire du commerce
Qui ? Texte et écriture scénique : Joël Pommerat
Où ? Théâtre de la Bordée
Quand ? 3 et 4 juin, 19h30