Si la libération d’Ingrid Bétancourt a détourné l’attention médiatique du conflit armé en Colombie et renforcé l’image positive du président Alvaro Uribe, dont la marque de commerce est la sécurité et la façade internationale, la mise en branle d’un processus de paix, à l’interne, des centaines de personnes périssent.
Pour Maria-Lucia (nom fictif), qui a émigré au Québec, les paramilitaires, les guérillas et le gouvernement sont tous responsables de ce conflit meurtrier : «Le problème de mon pays, c’est le narcotrafic et la soif de pouvoir. Il y a des violations des droits humains de tous les côtés. La guérilla et les paramilitaires ont pris la terre. Ils se sont enrichis avec le trafic de drogue. Ce qu’il y a au milieu, c’est la population, et c’est elle qui va payer plus cher.»
Les autochtones, les afro-descendants et les cultivateurs sont particulièrement exposés au conflit, car leurs terres sont convoitées. Parmi les principales victimes, on compte aussi des syndicalistes, des hommes politiques, des citoyens engagés, des religieux, des défenseurs des droits de la personne et des dirigeants communautaires.
Un gouvernement militariste
Après six ans au pouvoir, Alvaro Uribe conserve une très impressionnante popularité, estimée aujourd’hui à 84%. Le mot d’ordre du gouvernement en place est la sécurité. La circulation dans le pays a certes été facilitée, mais grâce à l’adoption d’une approche militariste. Ceux qui restent à tuer sont des «terroristes». Dans le cadre de la loi Justice et paix, le gouvernement a démobilisé les paramilitaires en leur octroyant des avantages légaux pour qu’ils rendent les armes. Cependant, pour les ONG et les défenseurs des droits de l’homme, ce processus a pris des allures de règlement de compte basé sur la dénonciation et il entraîne une négation du conflit armé. De plus, le gouvernement a légalisé la possession de la majorité des terres prises par les paramilitaires. «Aujourd’hui, les paramilitaires sont appelés des ‘‘délinquants communs’’, mais ils sont toujours très puissants», a témoigné Geneviève Lessard, qui travaille en Colombie pour l’agence indépendante canadienne Droits et démocratie.
Quand son père a été assassiné, Maria-Lucia est allée voir la DAS (Departamento Administrativo de Seguridad, équivalent de la CIA). «Je voulais demander un certificat judiciaire. Ce sont des policiers ou des militaires. Je suis allée pour signaler la disparition de mon père. Je tremblais. J’avais très peur. Je me disais qu’ils allaient peut-être me tuer. Pourtant, c’est un édifice officiel.» Le camp adverse fait aussi peur. Avant l’immigration au Québec, les candidats suivent des cours de français. «À Bogotá nous sommes tous à la francisation sans tenir compte des divisions», a-t-elle témoigné. «J’étais juste en face de quelqu’un qui téléphonait toujours aux
FARC pour dénoncer des gens».
Pour des actions collectives
La mission de Geneviève Lessard consiste à appuyer des initiatives citoyennes et à saisir les instances internationales de défense des droits, notamment la Cour interaméricaine de droits humains. Voit-elle quelque espoir dans ce conflit qui fait tant de morts ? «Oui, dans l’entêtement des gens à défendre le petit espace politique qu’ils ont. Participer à la démocratie en Colombie c’est mettre sa vie en danger. Je vois un peu d’espoir dans le système judiciaire et dans la sensibilisation contre la drogue. Le jour où tout le monde arrêtera de consommer, on aidera la Colombie. Il y a tellement de sang impliqué dans la fabrication de la cocaïne.»