Ne mordez pas à l’hameçon

Saviez-vous que les poissons et les fruits de mer ont contribué au développement intellectuel de l’être humain? Eh oui! Les premières espèces du genre Homo se sont installées dans la vallée du Rift, en Afrique. La proximité de l’eau leur offrait un garde-manger facile d’accès et la consommation des produits de la mer leur procurait les conditions nutritionnelles nécessaires au développement de leur cerveau.

Les fameux oméga-3
Aujourd’hui, nutritionnistes et scientifiques vantent sans relâche les effets bénéfiques des poissons et des fruits de mer pour la santé humaine. Tout le monde connait les oméga-3, ces bons gras qui contiennent de l’ADH, l’acide docosahexanoïque, une molécule nécessaire au développement de nos cellules. Les oméga-3 peuvent être d’origine végétale, comme les noix de Grenoble, le lin et le canola, ou marine. Or, il n’y a que dans les poissons et les fruits de mer que l’on peut trouver naturellement de l’ADH pour notre alimentation. «La conversion des oméga-3 en ADH est presque inexistante si la source est d’origine végétale», explique Michel Lucas, nutritionniste de renommée mondiale et chercheur à la Chaire Lucie et André Chagnon de l’Université Laval. Selon M. Lucas, une consommation régulière de poissons et de fruits de mer est donc essentielle afin de retirer tous les bénéfices des oméga-3.

Un antidépresseur
Au Canada, ce sont sans aucun doute les Inuits qui consomment le plus de poissons. Michel Lucas, soupçonnant les vertus antidépressives des oméga-3, s’est demandé si cette population était moins sujette à la dépression et à la détresse psychologique. Le chercheur a analysé la teneur en ADH dans le sang de 368 femmes inuites, qui est en moyenne de 12% comparativement à 2% chez les Québécoises. Cette étude a démontré que plus le niveau sanguin d’ADH est élevé, moins les femmes risquent de faire une dépression. M. Lucas a montré la même chose au sein de la population crie. Dans le même ordre d’idées, les chercheurs de la Chaire Lucie et André Chagnon publieront en février, dans l’Americain Journal of Clinical Nutrition, que la détresse psychologique est moins grande chez les femmes ménopausées qui prennent régulièrement des capsules d’oméga-3 que chez celles qui n’en prennent pas. Les oméga-3 permettraient également de diminuer les symptômes de la ménopause. «Les oméga-3 diminuent de moitié le nombre de bouffées de chaleur ressenties quotidiennement par les femmes ménopausées, en plus de diminuer les maladies cardiaques», souligne M. Lucas.

Bon pour le cœur
En effet, plusieurs études ont révélé qu’une consommation de produits de la mer une fois par semaine peut réduire de 15% les chances de développer une maladie coronarienne. Ces chances grimpent à 38% si on en consomme cinq fois par semaine. D’ailleurs, il est pratique courante pour les médecins européens de prescrire de l’huile de poisson aux patients qui viennent de subir un arrêt cardiaque. À Rome, on dit même d’un médecin qui ne recommande pas d’oméga-3 à une personne aux prises avec une maladie cardiaque qu’il est un mauvais médecin!

Avec les champignons shiitake, les poissons et les fruits de mer seraient les seules sources naturelles de vitamine D. En fait, la quantité de vitamine D contenue dans une portion de poisson équivaut à la quantité retrouvée dans huit tasses de lait! «De novembre à février, notre corps produit très peu de vitamine D. Or, celle-ci prévient le cancer colorectal, le diabète de type 2 et est très bénéfique pour les os», affirme M. Lucas.

Plusieurs autres bénéfices sont alloués à la consommation de poissons et de fruits de mer. Par exemple, une étude suédoise a démontré que, chez les enfants, une consommation de deux à trois portions par mois diminuait les risques de développer des allergies, de l’asthme ou de l’eczéma. Les produits marins regorgent de minéraux tels que le cuivre, le fer, le zinc et le sélénium, de même que l’iode, favorable à la glande thyroïde. C’est une source élevée de protéines et leur consommation prévient plusieurs types de cancer et renforce notre système immunitaire contre les infections.

L’autre côté de la médaille
Les habitants des mers sont de véritables filtreurs. Ils baignent littéralement dans l’eau et captent, au passage, tous ses constituants. «Un poisson est le reflet de la qualité de son environnement», soutient Éric Dewailly, médecin et professeur au Département de médecine préventive de l’Université Laval. Il est donc normal de retrouver, dans la chair et sur la peau des poissons, des contaminants naturels et d’autres qui résultent de l’activité humaine.

L’eutrophisation des lacs et le réchauffement climatique sont responsables de l’apparition des marées rouges, de vastes étendues d’algues rouges. En plus de défigurer le paysage, ces algues produisent une toxine qui, lorsqu’elle est ingurgitée, peut causer des troubles digestifs, mémoriels et neurologiques.

Quand le mercure monte
Ce sont cependant nos actions qui sont responsables de la majorité des contaminants présents dans les poissons et les fruits de mer que nous consommons. Des insecticides comme le DDT et d’autres produits chimiques, les biphényles polychlorés (BPC), le plomb et le cadmium par exemple, se sont accumulés au fil du temps dans nos cours d’eau. Les poissons et les crustacés emmagasinent ces substances dans leurs graisses. En se nourrissant de ces poissons, nous pouvons développer des problèmes neurologiques. Le DDT peut également attaquer notre système immunitaire, ce qui nous rend plus susceptibles de contracter des infections. Il peut même causer, chez l’homme, des troubles de fertilité. Quant à lui, le cadmium a été associé à divers problèmes rénaux.

Le plus populaire des contaminants à poisson, le méthylmercure, provient de la combustion du charbon. Présente dans la chair du poisson, cette molécule est détestée par les spécialistes qui recommandent de restreindre notre consommation de produits de la mer. «Le mercure s’accumule dans les poissons selon leur type [un poisson piscivore en contient plus, car il mange d’autres poissons qui eux-mêmes en renferment] leur milieu [l’eau douce en contient plus que l’eau salée] et leur âge [un poisson plus vieux en aura accumulé plus au cours de sa vie qu’un jeune poisson]. Par exemple, parce qu’ils mangent des bélugas et des phoques, de gros spécimens, ce sont les Inuits qui sont les plus exposés au mercure», explique M. Dewailly, qui est également directeur de l’Axe santé des populations et environnementale du Centre de recherche du Centre hospitalier et universitaire du Québec (CRCHUQ). «Le mercure affecte surtout le fœtus, cause un retard dans le temps de réaction des enfants et des problèmes de mémoire chez les bébés. C’est pour cette raison que l’on recommande aux femmes enceintes de réduire leur consommation de poissons et de fruits de mer», ajoute le chercheur.

Le secret: le choix
Le mercure est un oxydant: il fait rouiller l’organisme et durcir les artères. Il peut donc causer des maladies cardiaques. «D’un côté, on nous dit que manger du poisson, c’est bon pour notre cœur et de l’autre, que c’est dangereux», souligne M. Dewailly. Une étude a déjà démontré que les femmes cries sont plus sujettes au diabète. En fait, c’est parce qu’on leur recommandait de ne plus manger de poisson parce qu’on le disait contaminé par le mercure. Le manque de vitamine D, contenue dans le poisson, a probablement contribué au développement de la maladie. «C’est paradoxal! s’exclame M. Dewailly. En fait, le secret réside dans le choix du poisson que nous mangeons. Il est important de choisir les poissons gras, tel le saumon, qui sont une source élevée d’oméga-3 et de minéraux et qui contiennent très peu de mercure.» De plus, le sélénium contenu sur la peau des poissons gras, tels que le maquereau et la truite, contribue à capter le mercure. M. Lucas et Dewailly s’entendent donc pour dire qu’il faut consommer au moins deux portions de poissons et fruits de mer par semaine pour couvrir nos besoins en oméga-3 et minéraux. «Il faudrait manger deux repas de poisson par jour pour être affecté par les contaminants», précisent-ils. Ils répètent de choisir les poissons gras et de les manger grillés plutôt que panés.

Beurk! Ça pue!
Environ 11,5% des Québécois ne mangent jamais de poisson, alors que près de 50% n’en consomment qu’une seule fois par semaine. Étant donné tous les bienfaits du poisson sur notre santé, pourquoi est-il si peu consommé? Les raisons sont multiples: on n’aime pas l’odeur ni le goût; on a de la difficulté à l’apprêter; c’est cher; on n’est pas habitués à en manger, donc on ne pense pas à en acheter, etc. Pourtant, selon Léon Després, coordonnateur-secrétaire de la Table des pêches maritimes, étant donné la qualité des produits de la mer et leur valeur nutritive, ce sont des denrées très abordables. «L’éducation et la culture alimentaire y sont pour quelque chose», assure M. Dewailly, qui compare McDonald’s aux producteurs canadiens de poissons et fruits de mer en ce qui concerne le montant respectif alloué à leur publicité. Quant à elle, Hélène Laurendeau, nutritionniste, pose le blâme sur «les préjugés tenaces que nous avons concernant la fraîcheur, la peur des arêtes et la présence possible de contaminants».

Auteur / autrice

Consulter le magazine