Alors qu’une rare étude s’aventure à chiffrer l’efficacité d’une campagne antitabac, la question quant à l’efficacité des moyens utilisés se pose. Le recours à de la publicité dissuasive pour inciter les gens à écraser est-il si efficace qu’on le suppose ?
Maxime Bilodeau
La campagne télévisée « Tips for smokers » constitue la toute première initiative nationale de ce genre aux États-Unis en ce qui concerne la lutte antitabac. Les images choquent et frappent l’imaginaire : des individus mutilés, amputés et sérieusement handicapés racontent comment la cigarette les a menés à cet enfer. En filigrane, on y décèle bien évidemment un puissant incitatif à renoncer à la cigarette, ou simplement à ne jamais en griller une.
Pilotée par le Center for Disease Control ( CDC ), la campagne financée à hauteur de 54 millions de dollars par le gouvernement fédéral américain a été diffusée pendant trois mois, soit de mars à juin 2012. Ce n’est qu’un peu plus d’un an plus tard que le CDC en annonce finalement les retombées.
Sur la base d’une étude parue plus tôt en septembre dans le prestigieux journal médical The Lancet, de l’institut national de santé publique américaine, revendique que 100 000 Américains ont renoncé pour de bon à la cigarette suite à la campagne. Toujours suite aux conclusions des auteurs de l’étude, le CDC attribue en grande partie le succès connu « Tips for smokers » au recours à de la publicité dissuasive. Fait à noter, le premier auteur de l’étude, qui s’avère être le directeur de la division tabagisme et santé du CDC, recommande l’utilisation de ce type de campagne, qu’il qualifie d’efficace.
Or, rapporté au prorata du nombre de fumeurs américains ( près 44 millions en 2011 ), le chiffre avancé de 100 000 fumeurs en moins équivaut à une réduction d’à peine 0,02 % de l’incidence du tabagisme. Au Québec, cela se traduirait, selon les données de 2012, par l’abandon de la cigarette d’exactement 32 528 personnes.
Doutes sur l’efficacité de la pub
Selon Christian Désîlets, professeur en publicité sociale au Département d’information et de communication de l’Université Laval, il convient de prendre ces résultats avec un grain de sel. En plus de déplorer « l’habituelle désinformation et exagération » reliée à ce type d’annonce, M. Désîlets souligne que « la lecture de l’article paru dans The Lancet permet de dégonfler ces prétentions, notamment parce que les auteurs utilisent le “ conditionnel ” ».
Le publicitaire note aussi la tendance que certains chercheurs, comme les journalistes, peuvent avoir à spectaculariser leurs résultats et à exagérer la portée de leurs conclusions. M Désîlets donne ici l’exemple de ces chercheurs qui abordent un domaine comme la publicitée qu’ils ne connaissent pas bien et qu’ils traitent à l’aide de savoirs mythiques.
De son côté, Flory Doucas, porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac ( CQCT ), soutient que les publicités dissuasives ne sont qu’un des nombreux éléments mis de l’avant par le CDC. « Il y a autre chose qui a été mis sur pied de façon concomitante », a-t-elle souligné.
Mme Doucas réfère ici à la mise sur pied de centres d’appels téléphoniques et d’un site internet antitabac également financés par le gouvernement fédéral américain, mais également aux hausses de taxes de produits du tabac orchestrées par certains États.
Selon un rapport du CDC rendu public en août 2012, le nombre d’appels répertoriés aux centres d’appels lors de la campagne de trois mois a plus que doublé par rapport à la même période en 2011. En ce qui concerne le site Internet, le nombre de visites s’est multiplié par cinq.
De manière plus globale, Mme Doucas rappelle l’utilité réelle de telles initiatives dans la lutte contemporaine contre le tabagisme. « On sait que les campagnes sociétales ont pour effet de contribuer à changer la norme sociale, pas juste chez les fumeurs, mais également chez les non-fumeurs, entre autres chez les jeunes ». La porte-parole du CQCT explique que ce sont les jeunes qui renouvellent le bassin de fumeurs. En effet, on estime qu’à chaque fois qu’un individu plus âgé décède des suites du tabagisme ou décide d’arrêter, un autre plus jeune prend immédiatement
sa place.
Ce serait d’ailleurs cette statistique qui expliquerait la stagnation autour de 22 à 25 % du taux de tabagisme au Québec depuis 2005.