« Je ne prétends pas être un itinérant. Je suis un ambassadeur. » C’est le message de Guillaume Larose qui, accompagné de Jeanne Lauzon-Réhaume, Audrey Ann Lavoie, Maude Soares et Élisabeth Sirois, a complété les 5 jours pour l’itinérance. Du 13 au 18 mars, ces cinq étudiants avaient pour objectif de sensibiliser la communauté universitaire à la cause de l’itinérance. Tour d’horizon d’une problématique complexe à travers l’expérience de la rue.
Être jeune et itinérant
Il faut savoir distinguer l’errance de l’itinérance, dit d’entrée de jeu Jean-Luc Poitras, intervenant à La Dauphine (autrefois la Maison Dauphine). Plus fréquente chez les jeunes, l’errance est marquée par le manque de support nécessaire. « L’errant n’a pas de sentiment d’appartenance au travail, à l’école », élabore M. Poitras, alors que l’itinérant n’a carrément pas de domicile fixe. Une sortie difficile du centre d’accueil, la pauvreté ou des problèmes familiaux sont autant de facteurs qui expliquent l’errance ou l’itinérance.
« Au début, je pensais que ce serait plus difficile [de devenir itinérante pendant 5 jours] », confie Jeanne à la fin de l’expérience. Elle s’attendait à avoir plus de challenge en ayant un accès plus limité à de la nourriture. Mais rien de tel : la nourriture a afflué toute la semaine au campement des étudiants-itinérants. La phrase revenait sur toutes les lèvres des participants. « Si les gens pouvaient être un dixième généreux avec ceux dans le besoin qu’ils l’ont été avec nous, on réglerait le problème de la sécurité alimentaire. »
Guillaume, quant à lui, avoue que sa vision de l’itinérance et de l’errance a changé. « Ça peut être la personne à côté de moi, dans mon cours. En 5 jours, plusieurs personnes nous ont confié qu’eux, ou quelqu’un d’autre, a vécu une situation semblable », reconnaît l’étudiant en service social. « Ce n’est pas évident comme rythme de vie lorsque tu ne contrôles pas ton sommeil ni tes repas. Tu n’as pas le temps de faire ce que tu dois faire en plus de manger et de rester au sec », avance Audrey Ann, qui devait se préparer en vue d’un examen de médecine le vendredi.
Se nourrir
Si se nourrir n’a pas représenté une source de préoccupation en raison de la générosité des autres, les participants reconnaissent que cette chance ne revient pas à tout le monde. « Même en tant qu’étudiant, je n’ai pas cette chance-là », nuance Guillaume, alors qu’une quantité remarquable de denrées a été remise à La Dauphine.
Les jeunes errants sont débrouillards pour se nourrir, ajoute M. Poitras, qui en a vu au fil de sa carrière. Après 22 ans dans le milieu, l’intervenant fait voir que le dumpster diving et les banques alimentaires sont des ressources populaires auprès des itinérants. Quêter n’est pas évident pour autant, ajoute-t-il, car s’il est pincé par la police, le quêteur doit assumer une amende salée. « Ce ne sont pas des jeunes top shape, précise-t-il, [mais] il y a quand même des endroits où les jeunes peuvent manger », dont La Dauphine qui offre des repas tous les jours.
Se réchauffer
Audrey Ann est sans appel : « Pas besoin qu’il fasse froid pour avoir froid! » Malgré le bout de ses orteils souvent congelé, « je réagis bien au froid parce que j’ai toujours du linge de rechange », souligne de son côté Élisabeth, en entrevue le troisième jour. Elle reconnaît que de « vrais » itinérants n’ont pas la même chance. « Ils n’ont pas nécessairement d’endroit pour garder tous leurs vêtements. »
L’intervenant à La Dauphine évalue à 1% la proportion de jeunes qu’il rencontre qui passent la nuit à l’extérieur durant l’hiver. Ceux en situation d’errance ne sont pas au chaud pour autant. « Ou on augmente notre facture d’électricité et on ne sera peut-être pas capable de la payer, ou on baisse le courant et on a froid », illustre-t-il, alors qu’une majorité des jeunes qui fréquentent le refuge choisissent de dormir dehors l’été pour économiser sur le logement.
Socialiser
« Le fait de vivre en groupe est facilitant. La différence entre nous et les itinérants, c’est qu’on est valorisés à travers ce qu’on fait. On ne vit pas d’isolement », raconte Maude. Ces jeunes « désaffiliés et catalogués » ne sont pas des victimes, soutient M. Poitras. Malgré tout, ils vivent en groupe et il y a une mixité sociale. Bien qu’ils le rejettent souvent, ces jeunes font partie du système. Il ajoute : « Pour changer quelque chose, il faut que tu rentres dedans! »
« Si j’avais vécu dans la marge pour vrai, je serais content de retourner chez moi », partage Guillaume au terme du défi. S’il avait dû vivre cette expérience seul, il aurait été peiné de ne pas pouvoir partager sa déception avec les autres lorsque quelqu’un ne retourne pas sa salutation. Selon lui, le fait que les participants appartiennent à la même communauté étudiante que les gens qu’ils ont croisés au long de la semaine évoque la sympathie des autres envers leur situation. « Ce sentiment d’appartenance n’est peut-être pas partagé avec ceux dans la rue. Les gens sont moins sensibles avec les vrais itinérants » pour cette raison, avance l’étudiant.
Sortir de l’itinérance
« Ce n’est pas la société, c’est votre société! », lance Jean-Luc Poitras aux jeunes qu’il côtoie. « lls ont des préjugés envers la société au même titre que la société a des préjugés envers eux. En faisant tomber ces préjugés, on peut avoir une discussion », poursuit-il pour expliquer comment les jeunes errants et itinérants peuvent se « remettre en action ».
« On n’est jamais vraiment sorti de la société », pense Guillaume dans le même ordre d’idée. Alors que le décompte annonçant la fin du défi s’amorce, Jeanne réalise que les « vrais » itinérants « ne peuvent jamais se dire : “ce soir, c’est fini!” » Elle fait le souhait que si tout le monde pouvait avoir la même sensibilité, les conditions de vie des itinérants seraient améliorées.