Ces dernières années ont été passionnantes pour tous ceux qui s’intéressent, de près ou de loin, à la question de la mondialisation. On a vu la prolifération des Wal-Marts, la signature d’une flopée d’accords économiques internationaux et la délocalisation de nombreux emplois. Les partisans de la globalisation économique se frottent les mains, et ceux qui se revendiquent de l’étiquette altermondialiste ne manqueront pas de prétextes pour manifester. Les essais, les tracts, les pamphlets et les programmes se multiplient pour décrier ou vanter les conséquences d’une libéralisation des échanges.
Cependant, que l’on appartienne au premier groupe ou au second, on ne peut dire qu’acheter des produits d’ici ou d’ailleurs ne soit particulièrement de gauche ou de droite. Mieux vaut-il acheter un produit bio de la Colombie plutôt que que son équivalent cultivé aux pesticides de l’Estrie? Un album de Simple Plan est-il comparable à un long-jeu de Tryö? La question se pose et se repose.
Certains ont la réponse. À l’occasion d’un point de presse, le 3 juin dernier, Jean Charest s’est fait l’émule de son homologue fédéral Stephen Harper en dénonçant les lois Buy American qui surgissent présentement chez nos voisins du sud. Il y est donc allé d’une charge éloquente contre le protectionnisme, en qualifiant d’«absurde» et en déclarant que «les gens se tirent dans le pied avec le protectionnisme». Ainsi, lorsque l’administration Obama s’efforce de promouvoir l’achat local pour préserver les emplois et faire rouler l’économie environnante, Jean Charest est en désaccord. C’est noté.
Mais ce n’est pas ce qu’un Wal-Mart voisin et une compagnie de lessive, deux entreprises qui misent sur l’achat local dans leurs publicités télévisées, lui auraient dit. On voit partout surgir des appels à la consommation locale, qui se présentent comme la bonne conscience des acheteurs, et leur suggèrent d’aider les producteurs du coin. Justement, c’est un discours qui n’est pas étranger au premier ministre. Lors d’un passage en Mauricie, en 2008, Jean Charest avait tenu un discours tout autre. Cité par le journaliste Jonathan Roberge, dans l’Écho de La Tuque, le premier ministre y allait d’un plaidoyer émouvant pour les produits d’ici : «Acheter québécois, c’est à l’avantage de tout le monde. Si tous les Québécois achètent des aliments d’ici pour 30 dollars de plus par année, cela se traduira après cinq ans par des revenus supplémentaires d’un milliard de dollars pour l’industrie agricole et agroalimentaire. Consommer des aliments d’ici, c’est créer des emplois et contribuer à créer de la richesse». Même si l’argument est chancelant, attardons-nous au fait qu’il s’agit ici de la même personne que le Jean Charest cité dans le troisième paragraphe. Certes, dans cet exemple, il ne prend pas de mesures législatives pour encourager l’achat local au détriment des importations.
Seulement, le même Jean Charest a aussi promis, lors de la dernière élection, une abolition de la TVQ sur les produits culturels québécois. Ainsi, après l’adoption d’une éventuelle loi, un disque de KISS à 10 $ ne coûtera pas la même chose qu’un disque des Lost Fingers à 10 $. Même si cette loi peut elle aussi être contestée par tellement d’arguments différents, allant de son inutilité à son flou (artistique!), un point ne pourrait être plus clair: elle est une preuve d’un «vieux réflexe protectionniste». Et est influencée directement par l’idée qu’acheter des produits locaux est mieux que d’importer. Exactement l’idée derrière les lois Buy American.
Le tout indique qu’en termes politiques ou économiques, Jean Charest n’est ni un tenant du protectionnisme, qu’il tient en horreur, ni un partisan du libre-échange, qu’il considère comme une menace pour l’économie locale. Alors que les partisans d’un ambivalent «juste milieu» considéreraient les points positifs de chacune des options, notre premier ministre raconte à qui veut bien l’entendre qu’il compte protéger le mieux possible l’économie locale, tout en condamnant ceux qui suivent le même raisonnement.
Que dire d’un chef de gouvernement qui change aussi facilement d’idée, tout dépendant de l’auditoire auquel il s’adresse? Soyons aimables, mettons tout ceci sur le compte de la fatigue, du stress et des taux d’approbation records. Car la cote de cohérence de ce gouvernement ne sera jamais favorable si elle est évaluée par quiconque se préoccupe de la cohérence de ses arguments, fussent-ils protectionnistes ou libre-échangistes.
Aussi bien dire, pour le moment, que lorsque Jean Charest veut voir le Québec «Briller parmi les meilleurs», il ajoute au slogan les mots «en excluant les autres».