La semaine dernière à Place Royale, lieu où Champlain établit son Habitation, symbole de la présence française en Amérique, plus de 500 artistes et politiciens étaient réunis afin de manifester contre ces coupures qui totalisent 45 M$. Quelques jours plus tard, en conférence de presse, c’était au tour de Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois, flanqué de Jean-Pierre Vézina, vice-président aux finances d’Ex Machina, la compagnie ayant réalisé le Moulin à images, ainsi que de Carol Cassistat, directeur artistique du Théâtre du Gros Mécano, de sortir les griffes contre la décision du gouvernement Harper.
Monsieur Duceppe a souligné que la culture était «l’arme de la nation. C’est l’âme de tout peuple, c’est de l’oxygène», promettant de faire de cette question un thème central de la campagne électorale. De son côté, Carol Cassistat a insisté sur le fait que depuis 1990, son entreprise a retourné aux autorités six fois sa mise initiale, faisant référence aux subventions obtenues par les programmes de Patrimoine Canada. On estime les retombées directes de la culture à plus de 37,5 milliards de dollars au Canada. Employant 1,1 million de personnes, l’industrie culturelle représente à elle seule plus de 7,4% du PIB canadien selon le Conference Board. Professeure de droit international à l’Université Laval, Véronique Guèvremont souligne qu’avec un retour de dix pour un sur les sommes investies par Ottawa, «peu d’investissements rapportent autant aujourd’hui. C’est bénéfique d’investir dans ce domaine. On se coupe l’herbe sous le pied d’un marché qui est dynamique et rentable», insiste-t-elle.
Tourner le dos à ses engagements
La contradiction entre le discours actuel du gouvernement et les engagements pris pas le Canada sur la scène internationale est forte. En 2005, le Canada s’était fait chef de file de la ratification à l’UNESCO, par plus de 100 États, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.?«Le Canada était un très grand défenseur de ces expressions culturelles. Il était même vu comme un modèle dans l’élaboration de politiques culturelles visant à soutenir les artistes autant au Canada qu’à l’étranger. (…) Dans les couloirs de l’UNESCO, je suis certaine que ces décisions du Canada font beaucoup jaser. Le Canada est vu comme ayant un double discours», dit Mme Guèvremont, qui a travaillé pour l’organisme qui relève
de l’ONU.
C’est pourtant avec conviction que le Canada soulignait dans la convention l’importance d’intégrer la culture comme élément stratégique dans les politiques nationales et internationales. Il y reconnaissait également la nécessité de prendre des mesures pour protéger la diversité des expressions culturelles, en plus de se déclarer convaincu que les biens culturels sont porteurs d’idées et ne peuvent être traités comme ayant une valeur uniquement commerciale.
La raison qui explique pourquoi le gouvernement de l’époque y a joué un tel rôle est simple. Avec un marché intérieur trop petit, très peu d’artistes peuvent s’autosuffire sur le territoire canadien. Le soutien financier du gouvernement aux entrepreneurs culturels est donc vital pour la survie et l’exportation des différentes cultures au Canada. Cette convention vient donc créer un contrepoids aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui réglementent l’interventionisme étatique dans l’économie. La convention de l’UNESCO, affirme que les produits culturels ont une double nature et ne peuvent être considérés comme d’autres biens de consommation.
Effets pervers
L’abolition de programmes comme PromArt et Routes commerciales, qui permettent aux artistes de s’exporter, n’est pas sans danger pour un pays comme le Canada qui peine parfois à trouver son identité sur la scène internationale. Car non seulement le pays risque de perdre une importante visibilité, mais il risque surtout de s’affaiblir face à l’appétit d’exportation et l’offre d’autres marchés, notamment celui du géant américain. «La diversité, c’est pas seulement une question d’offre. Si on est plus en mesure d’offrir une diversité de produits, les gens vont se retourner vers les expressions culturelles qui sont disponibles, selon la professeure. Dans ce domaine, laisser l’offre et la demande agir, c’est laisser le plus fort envahir un marché en disant que les autres vont s’adapter et que s’ils ne sont pas assez compétitifs, ils disparaîtront. Ça va pour les chaussures, pour les automobiles et les ordinateurs, mais on ne peut pas penser de cette façon en matière de culture.»
Jointe à plusieurs reprises, la ministre du Patrimoine canadien, de la Condition féminine et de la Francophonie, Madame Josée Verner, a refusé de répondre aux questions d’Impact Campus.