Le creux actuel n’est pourtant pas une première. En mars 1958, plus de 20 000 étudiants déclanchent une grève afin d’entraîner le gouvernement de Maurice Duplessis à accroître l’accessibilité aux études supérieures. Malgré l’ampleur de la manifestation, les étudiants essuient une fin de non-recevoir du premier ministre, qui décédera l’année suivante. Il faudra cependant attendre 1968 pour que les revendications étudiantes quant à l’aide financière aux études reprennent vie et aient écho au tout jeune ministère de l’Éducation.
«C’est une constante en Amérique que les mouvements étudiants vivent des périodes de creux. Des études mentionnent que 5 à 10% des étudiants sortent pour les activités de mobilisation. Un peu plus sortent dans les moments chauds. Mais une fois que cette raison est tombée, les spontanés se retirent et les leaders deviennent désabusés», raconte Karine Hébert, auteure du livre Impatients d’être soi-même. Les étudiants montréalais de 1895 à 1960 et professeure au Département des lettres et humanités de l’Université du Québec à Rimouski. Ayant fait l’analyse des journaux des universités de Montréal et McGill, Mme Hébert a constaté que les éditoriaux dénonçaient périodiquement, en moyenne aux deux ou trois ans, le manque de mobilisation.
Ce cycle semble reprendre depuis l’année 2005-2006. Le désengagement de la population estudiantine est ressentie sur le terrain par les associations étudiantes québécoises. «Après la grève de 2005, il y a eu un épuisement, constate Alex Desrochers, secrétaire aux relations externes de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante du Québec (ASSÉ). En plus, il y a eu un important changement de garde et il y a eu un besoin de stabilisation». «L’essoufflement post-grève est réel. Le mouvement étudiant est en mutation», explique quant à lui Simon Bérubé, président de la CADEUL.
Depuis 2005, il y a effectivement de plus en plus d’associations qui se sont désaffiliées de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), faisant passer celle-ci de 180 000 membres en 2005 –un sommet historique–, à
120 000 aujourd’hui (voir autre texte). «Il y a un respect fondamental qui existe. Mais nous trouvons tout de même dommage qu’il y ait un désaccord qui a mené au résultat que l’on connaît. Maintenant, on respecte les choix démocratiques qui ont été fait par diverses associations au Québec, c’est tout à fait normal», dit David Paradis, président de la FEUQ.
Étudiants diplômés, citoyens endormis
N’empêche qu’avec le dégel des frais de scolarité imposé par le gouvernement Charest en 2007, qui est passé comme lettre à la poste dans le portefeuille des étudiants, il est à se demander si le mouvement est dans un creux de vague ou s’il est désincarné. Selon André Drainville, professeur au Département de sociologie de l’Université Laval, la réalité se rapproche dangereusement de la deuxième hypothèse. «En ce moment, il n’y a pas de mouvement étudiant au Québec; il s’est assis et fait de la photocopie. Depuis le début de la société post-industrielle, on est orienté vers la production du savoir. Les universités sont de plus en plus des gérants. Ils ont intégré le système, les associations étudiantes aussi. La CADEUL est incapable de politiser les enjeux. Ce n’est pas un mouvement étudiant, c’est des gestionnaires», tranche-t-il implacablement.
Tout n’est pourtant pas si simple pour les exécutants des associations étudiantes. Leur mode de fonctionnement, plus souvent qu’autrement basé sur le consensus, rend difficile de piloter le navire. «Peut-être que M.Drainville remonte à quelques années où, oui, il y avait du mécontentement, notamment dans le De-Koninck. Cependant, on doit respecter la souveraineté locale de nos associations. Notre objectif premier est de créer un consensus entre nos associations. Ce qui peut parfois rendre difficile la politisation des enjeux», spécifie Simon Bérubé. Costituant une confédération de plus de 80 associations de premier cycle, la CADEUL a, dans une certaine mesure, les mains liées par la volonté du caucus associatif. Autrement dit, son action est dictée par le vote à la majorité de ses composantes, ce qui est également le cas de la FEUQ.
Jérome Lankoandé, président de l’Association des étudiantes et étudiants de Laval inscrits aux études supérieures (ÆLIES), explique quand à lui que le problème est plus général. «Je situerais la question dans un contexte plus global. Est-ce que les jeunes, les étudiants, ont toujours un intérêt pour les questions de société? Le problème de mobilisation existe dans toutes les structures associatives. Si nous savions d’où viens cette désaffection, nous aurions déjà la solution. Il y a beaucoup de réponses possibles. Mais je pense qu’il y a une bonne raison pour la désaffection envers le mouvement étudiant, et elle repose sur le fait que nous ne sommes pas capables de travailler ensemble. Alors les étudiants se disent que si vous ne pouvez pas faire cela, alors on ne peut vous faire confiance. Je ne dirais pas que la jeunesse étudiante est endormie. Je crois plutôt qu’elle est dans une phase de creux de vague.»