John Saul débute en racontant qu’il était dans le salon privé d’un aéroport lors de la conférence de presse clôturant la récente visite de Barack Obama au Canada : «J’étais le seul à regarder la télévision. J’étais entouré d’hommes d’affaires et ils ne comprenaient pas le lien entre leur vie et ce moment historique», déplore-t-il. Ce manque de vision d’ensemble est là une des trois idées principales qu’il développe dans son plus récent ouvrage, qui revendique l’étiquette métisse pour la «civilisation canadienne», et fait un rappel historique de la formulation «paix, bien-être et bon gouvernement».
Ce qui peut sembler au premier coup d’oeil un attachement superficiel pour des mots est en fait le fruit d’une longue réflexion. «Ce phénomène est représentatif du problème dont je parle, que les élites ont peu de pouvoir et suivent les autres. […] Dans mes autres livres, Les Bâtards de Voltaire et La Civilisation inconsciente, j’avais beaucoup parlé du problème des élites.» Ce problème, c’est le manque de vision d’ensemble : «Il manque de contexte… Une très grande partie de l’éducation universitaire est très étroite», remarque-t-il. Il enchaîne en mentionnant les autochtones qui, bien qu’affectés par ce manque de vision d’ensemble dans la couverture médiatique, peuvent servir d’exemple aux décideurs.
«La question autochtone est présentée comme un problème, avec des problèmes de suicide, et cetera. Je ne dis pas que c’est faux, mais le peuple ne connait que ça», dénonce-t-il, en présentant par la suite un exemple qu’il lui a été donné d’observer, une association d’hommes d’affaires autochtones. «Une élite autochtone qui sort, une élite des plus intéressantes. Ça me fait penser un peu à l’élite québécoise des années 60, qui avait des idées, de l’ambition»
« Pour résoudre un problème, il faut regarder les sources »
En se penchant sur plusieurs questions actuelles, John Saul déplore l’absence de réflexion proprement canadienne, inspirée de notre métissage. «Les idées européennes ne peuvent pas amener à la conclusion du système canadien», observe-t-il en parlant du système de santé et des politiques d’immigration propres au Canada. «Notre tradition d’immigration remonte au XVIIe siècle. La méthode qu’ont les autochtones pour accueillir l’autre est différente et n’est pas linéaire, raciale ou basée sur la pureté. C’est un cercle basé sur l’adoption.»
Ainsi, les idées de paix, égalité et bon gouvernement qu’il cite ne sont pas inspirées des colonisateurs, mais plutôt
directement inspirées des Amérindiens, malgré la mémoire qui fait défaut : «On a oublié la surface mais ça reste dans le subconscient.» Ainsi, l’inspiration du système de santé ne serait pas basée sur les principes européens, mais plutôt une résurgence de cet instinct métis que les Canadiens ont gardé. «Je regarde le système européen, j’essaie de comprendre d’où viennent les choses. Je reviens constamment à la même question : Quelles sont les lignes éthiques qui peuvent fonctionner? Je ne peux pas trouver ça ailleurs [qu’ici].»