Un travail complexe

En novembre 2007, le projet de loi 50 était déposé à l’Assemblée nationale par le ministre responsable de l’application des lois professionnelles, Jacques P. Dupuis. Mort au feuilleton en novembre 2008 en raison du déclenchement des élections, ce projet de loi visait notamment à modifier le Code des professions dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines. Le projet de loi devrait revenir sous une autre appellation lors de la prochaine rentrée parlementaire. Il devrait ainsi baliser l’épineuse question de la psychothérapie qui n’est toujours pas réglementée au Québec. Ainsi, seuls les psychologue, les médecins, les travailleurs sociaux et quelques autres travailleurs spécialisés seront autorisés à exercer cette pratique.

«C’est quelque chose qui est aberrant que la loi vient corriger», fait valoir Claude Leblond, président de l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec. Autrement dit, n’importe qui peu s’improviser psychothérapeute à l’heure actuelle, avec tous les dangers que cela comporte pour les individus et la population en général. L’Ordre des travailleurs sociaux du Québec a statué en 1994 que cette pratique nécessitait une maîtrise et une formation complémentaire. Selon François Huot, professeur à l’École de service social de l’UQÀM, la loi se veut «une manifestation d’un post-professionnalisme. Elle se caractérise par une instrumentalisation de la pratique dans un champ de plus en plus précis».

Malgré l’aspect plus restrictif de la loi, Daniel Turcotte, professeur à l’École de service social de l’UL ne croit pas qu’elle ne devienne un frein à la profession. «La loi ne définit pas le travail social. La loi précise un certain nombre d’activités très restrictives. Elle ne couvre pas le champ d’exercice, elle couvre une petite partie. Ça prend peut-être une loi dans le domaine de la santé mentale pour établir ce qui relève de certains groupes professionnels. Mais la loi ne vient pas établir les paramètres du travail social et il faut éviter cela», dit-il.

De tous les aspects de la profession abordés dans le projet de loi, le fait que le changement social comme orientation du travail social soit évacué en inquiète plus d’un. C’est le cas de Jean-Vincent Bergeron-Gaudin, étudiant de troisième année en service social. Ce dernier, qui a mis sur pied l’atelier «Manifeste pour le changement social», tenu lors du colloque, affirme que dans l’histoire du travail social, il y a toujours eu une perspective de changement social. «Le changement social, c’est d’avoir une analyse structurelle de la société. Il faut travailler sur les structures, les changer, pour favoriser une meilleure intégration des individus. Cela peut être politique, comme avec l’adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, ou culturel, en sensibilisant les gens. En travail social, nous travaillons sur les deux plans. Nous travaillons sur l’intégration des individus en société. Cette action a des limites lorsque les limites sont les structures de la société qui ne sont pas adaptées à ces individus», fait-il valoir.

Enjeux d’une profession
L’individualisme galopant de la société pousse les travailleurs sociaux à redéfinir certains aspects de leur profession. «Cela va multiplier les problèmes sociaux, car les gens se retrouvent de plus en plus dépourvus dans certaines situations. Il y a là un danger de fragilisation sociale et d’effet sur lequel il faut faire attention en tant que travailleur social», affirme M. Bergeron-Gaudin.

Justine McHugh, du comité organisateur du colloque, affirme quant à elle qu’un des enjeux de la profession est de bien établir la différence entre le travailleur social et le psychologue. «C’est un des enjeux de notre profession. On n’est pas différencié alors que la différence est importante. L’approche psychologique est basée sur l’individu, alors que nous travaillons avec son réseau, avec son environnement. On travaille sur la capacité de l’individu à changer et sur son potentiel. On ne va pas nécessairement fouiller dans son passé.»

Pour sa part, Daniel Turcotte met l’accent sur le fait que le travail social est complexe et uniforme. En plus de la diversité à l’échelle de la clientèle, le travailleur social doit composer avec la diversité des phénomènes à traiter. «On travaille sur une foule de problèmes sociaux, sur une foule de populations, des personnes âgées, des jeunes, des familles. Cela fait en sorte que l’identité est difficile à établir. C’est la nature même du travail social.» À cela, François Huot, de l’UQÀM précise : «Le travail social n’est pas une discipline des sciences humaines. Elle n’a pas d’explication théorique à proposer. C’est une pratique.»

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