Radio-Canada annonçait jeudi 5 février la suppression de neuf postes à la bibliothèque et la suspension de quatre programmes de la Faculté des lettres et sciences humaines. Bien que les acteurs de la communauté universitaire s’insurgent contre les compressions exigées par le gouvernement Couillard, ils appellent à la nuance. Le portrait final des coupures à l’UL ne sera quant à lui connu qu’en avril.
Alors que l’Université Laval doit faire face à des compressions budgétaires de l’ordre de 42 millions de dollars, la Faculté des lettres et des sciences humaines a suggéré de suspendre les admissions de quatre programmes, à savoir le baccalauréat intégré en littératures et philosophie, le baccalauréat en études hispaniques, la maîtrise en communication publique majeure journalisme scientifique et la maîtrise en communication publique majeure communication internationale interculturelle.
Rien d’assuré avant avril
En entrevue vendredi dernier à CHYZ, Caroline Aubry, présidente de la CADEUL, dénonce ce climat d’instabilité et de précarité imposé par le gouvernement libéral : « C’est certain que c’est un climat qui est très inquiétant sur le campus de l’Université Laval avec les compressions monstres qui sont demandées aux universités. On ne fait pas exception. »
Elle souhaite toutefois rectifier certains faits. « On sent le besoin de corriger le tir. Ce ne sont pas des décisions qui sont officielles ou qui sont arrêtées. Le processus budgétaire de l’Université en est à ses premières étapes présentement. Les différentes unités administratives ont présenté des suggestions à l’administration universitaire qui absorbent les compressions. Et présentement ces propositions sont à l’étude. »
La présidente de l’association des étudiants de premier cycle assure tout de même que la CADEUL va continuer de « prioriser la qualité de la formation et les services aux étudiants ».
Même son de cloche du côté de l’association des étudiants inscrits aux cycles supérieurs. « Rien n’est encore arrêté. Tous les arbitrages auront lieu au courant du mois d’avril », précise Christian Djoko, président de l’ÆLIÉS, avant de dénoncer lui aussi « avec véhémence » ces compressions imposées au réseau universitaire qui sont, selon lui, « trop importantes, néfastes et contreproductives ».
Des suspensions, non des abolitions
L’Université Laval confirme quant à elle la suspension des admissions à quatre programmes de la Faculté des lettres et des sciences humaines. « Ces suspensions, qui ne sont pas des abolitions, sont le fruit d’une évaluation rigoureuse qui a été accompagnée de consultations étendues. Elles permettront d’actualiser l’offre de formation facultaire et de la rendre plus conforme aux besoins des étudiants », rapporte la Direction des communications de l’UL.
Véronique Nguyên-Duy, directrice du Département d’information et de communication (DIC), abonde dans le même sens. « Il ne s’agit pas d’abolition de programmes. Ce sont deux concentrations où nous suspendons les admissions », déclare-t-elle en référence aux concentrations en journalisme scientifique et en communication interculturelle de la maîtrise en communication publique. « Ce n’est pas tributaire des compressions, poursuit-elle. On avait juste un cours pour ces concentrations-là. Et ce n’est pas avec un cours qu’on peut avoir un axe concret pour un programme. […] On ne veut pas offrir de coquilles vides. » La directrice du DIC tient également à souligner que ces décisions proviennent de consultations réalisées au sein du comité de programme de 2e cycle, sur lequel siègent des étudiants.
La qualité de l’enseignement menacée
Ce qui effraie le plus les membres de la communauté universitaire interrogés reste les répercussions que ces compressions auront sur la qualité de l’enseignement. Pour Sylvain Marois, chargé de cours au département de littérature et vice-président de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN), « cela a un impact indéniable sur la qualité de l’encadrement et les dernières compressions ne vont faire qu’ajouter de la pression sur les services de première ligne aux étudiants. »
Sylvie Morel, professeure titulaire au Département des relations industrielles, est du même avis : « Les services aux étudiants sont touchés, les conditions de travail des enseignants aussi… Ce n’est pas banal du tout ce qu’il se passe en ce moment ! » Cette professeure indique que son département devra composer avec une compression de fonctionnement de l’ordre de 20 %, ce qui représente 140 000 dollars.
Conséquence : les professeurs auront une augmentation de leur charge d’enseignement en plus d’un accroissement du nombre d’élèves par cours. Sylvie Morel voit beaucoup de difficulté à enseigner à de si grands groupes : « J’ai un cours où j’ai 200 étudiants face à moi. Les étudiants osent à peine poser des questions parce qu’ils sont timides. On ne peut pas avoir d’échanges avec le groupe, car on est en train de donner un spectacle. »
Les modalités d’évaluation s’en trouvent également modifiées. « Dans certains cas, on est obligé de passer à des examens à questions à choix multiples. On ne peut plus avoir des évaluations basées sur des questions à développement qui permettent beaucoup mieux d’évaluer les apprentissages. On n’a plus le choix », reproche la professeure en relations industrielles.
Sylvie Morel et Puma Freytag, président du Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université Laval (SCCCUL), s’accordent pour dire que ce processus existe déjà depuis plusieurs années. Ce dernier fustige le fait que l’encadrement des étudiants se voit détériorer. « On nous dit d’ajuster notre pédagogie. Mais il y a des limites humaines à la correction et il faut conserver des échanges individualisés avec les étudiants », déclare-t-il. Selon lui, l’effritement du rapport enseignant enseigné induit par ces compressions a pour conséquence une certaine baisse de la qualité des diplômes.
« C’est évident que les compressions vont augmenter la charge de cours des enseignants, en même temps que de réduire les supports à l’enseignement et l’offre de cours », résume Yves Lacouture, président du Syndicat des professeurs et professeures de l’Université Laval (SPUL).
Les contractuels les premiers touchés
Puma Freytag et Charles-Alexandre Bélisle, président du Syndicat des auxiliaires administratifs, de recherche et d’enseignement (SA2RE), constatent que les contractuels sont les premiers touchés par ces diminutions d’effectifs. Comme l’explique le représentant des auxiliaires, « les compressions demandées à chaque unité sont de l’ordre de 5 % à 10 % de leur budget, principalement dans leur masse salariale. Donc qui on coupe d’abord ? Ce sont les contractuels et le personnel de soutien. Du point de vue du service aux étudiants, c’est principalement des chargés de cours et des postes d’auxiliaires qui sont abolis. »
« Les contractuels sont durement touchés, soupire le président du SCCCUL. Ce sont des gens qui enseignent parfois depuis 25 ans. Ce sont des drames humains ! Ce sont des connaissances pointues qui se perdent. » Puma Freytag pense d’ailleurs que ces suppressions de charges de cours ajouteront une pression supplémentaire au corps professoral. « Les professeurs-chercheurs ne peuvent pas tout assumer ! », s’exclame-t-il.
Une question d’idéologie ?
La majorité des personnes interrogées s’insurge contre la dérive idéologique en cours. Pour Sylvain Marois, l’annonce de ces compressions marque « un détournement radical de la mission fondamentale de l’Université ». « Combien de cours ont été coupés en informatique, en sciences de l’administration, en science de la gestion, en ingénierie ? Aucun à ma connaissance. De toute évidence, il y a un grand ménage qui se fait sous le couvert des compressions. C’est purement idéologique ! » reproche le représentant FNEEQ-CSN.
Ses paroles font écho à celles de Sylvie Morel qui observe un dévoiement de la mission de service public de l’université : « La dérive, on l’observe lorsqu’on évalue les cours et les programmes en fonction du seul critère de rentabilité financière. C’est invraisemblable ! […] Le critère d’évaluation devrait être celui de la qualité des contenus et de la nécessité des programmes. »
Puma Freytag condamne également le discours très économiste tenu par l’Université. « Ce sont des secteurs qu’on abandonne avec ces compressions. Les sciences humaines sont sacrifiées et déconsidérées, regrette-t-il. Le grand frisson arrive ! »
Pour le président du SPUL, ces compressions vont affecter la compétitivité de l’UL dans le domaine de la recherche. « On brade l’université ! », se désole M. Lacouture.
Provoquer le débat
Sylvie Morel reproche l’opacité du processus de décision qui entoure les compressions. « Le climat de travail est assez délétère à l’heure actuelle. On ne sait pas ce qui s’en vient, déclare-t-elle. C’est beaucoup plus des débats dont on aurait besoin sur le campus pour que l’on comprenne ce qu’il se passe et que l’on sache où on s’en va et quelles décisions adopter. »
Elle, ainsi que la majorité des professeurs du département de relations industrielles, ont décidé de réagir en créant un comité. « Nous voulons marquer notre désaccord et cesser d’être passifs. On veut prendre la parole et se mobiliser », affirme-t-elle.