Lors d’une soirée-conférence organisée par la Chaire de recherche publique AELIÉS en collaboration avec le Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante de l’Université Laval (CRIFPE-Laval), quatre expert(e)s étaient rassemblé(e)s pour répondre aux grandes questions liées à l’avenir de l’école publique. Le constat semble unanime, le système d’éducation québécois ne vit pas ses meilleures années.
« L’école publique vit actuellement une sérieuse remise en question des fondements sur lesquels elle repose depuis sa création et plus particulièrement depuis la réforme Parent, des années 1960 », soulignent les organisateurs de l’évènement. Quatre thèmes ont été avancés pour tenter de comprendre ce recul.
Une crise, réelle ou non ?
Pour Suzanne-G. Chartrand, professeure retraitée à l’Université Laval et didacticienne du français, l’école publique n’est pas en crise, mais elle est certainement en péril. Selon elle, le corps enseignant est à bout de souffle et les ressources manquent considérablement. Cette vision est partagée par Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement, qui confirme que « le lien de confiance entre les enseignants et les dirigeants, lui il est rompu. » Elle témoigne que les enseignants n’en peuvent plus et que la gestion des écoles basées sur les résultats et la performance en est l’une des principales causes. « 46 % de nos élèves au Québec ne font plus partie de nos classes régulières parce qu’ils sont au privé ou dans des groupes sélectifs », mentionne-t-elle. Mme Scalabrini ajoute que les classes publiques sont maintenant composées d’une dizaine d’élèves en difficulté et que, logiquement, les plus performants ne sont plus présents pour donner un coup de main.
Claude Lessard, sociologue et président du Conseil supérieur de l’éducation du Québec entre 2011 et 2015, estime que le simple fait d’avoir le choix entre l’école publique et l’école privée est en partie responsable de l’état actuel du système d’éducation. C’est unique au Québec d’avoir une aussi grande proportion d’élèves au privé, même à travers tous les pays de l’OCDE, confirme le chercheur. Le quatrième invité, Antoine Baby, sociologue et auteur de plusieurs livres traitant d’éducation, avance que l’école publique s’intègre à une dynamique sociale plus large, « c’est au plus fort la poche », croit-il, critiquant notamment la vision carriériste et néolibérale de l’éducation, une vision à l’autre extrême de celle du rapport Parent, dans les années 60.
Un régime de concurrence
La compétition et la création de groupe d’« élites » à l’intérieur même d’un système qui se considérait équitable à l’époque de sa création sont, selon les quatre experts, parmi les plus grandes problématiques du système actuel.
« C’est un système qui crée une injustice. Ça vide les écoles, les classes de leurs ressources », avance Antoine Baby se disant favorable à la disparition de l’école privée. La militante, Mme Scalabrini, affirme que le gouvernement devrait tenir compte de la recherche qui « prouve que l’école privée, ce n’est pas gagnant », soulignant que le Québec est dans une classe à part dans ce domaine, « il n’y a pas d’école privée en Ontario », conclut-elle.
Suzanne-G. Chartrand estime que le système actuel reproduit les inégalités sociales de la société, ce qui est contraire aux idées de la Révolution tranquille, constate-t-elle. « Le mandat de l’État, c’est le bien-commun », dit-elle. À la question sur la liberté de choisir des parents, la professeure de l’Université Laval répond « qu’ils ont le droit, mais est-ce qu’il trouve correct que des enfants aillent dans des écoles défavorisées parce qu’eux, ils n’ont pas le choix ? » Elle conclut qu’on devrait penser l’éducation autour de valeurs comme l’entraide et l’importance d’avoir des classes mixtes, « l’école n’est pas faite pour la réussite, c’est pour apprendre », ajoute-t-elle.
Et si vous étiez ministre de l’Éducation ?
La soirée-conférence s’est terminé par la question suivante : « Si demain, on vous offrait le ministère de l’Éducation, en dehors de toute allégeance politique, qu’auriez-vous envie de faire ?»
Pour le sociologue Antoine Baby, le système du Québec devrait s’inspirer de ce qui se fait actuellement en Finlande, mettant de l’avant l’école fondamentale, à l’abri des influences extérieures. Il miserait sur la fin des subventions aux écoles privées et prônerait pour l’égalité des chances à l’arrivée à l’école.
Pour la chef syndicale, « la composition de la classe, revenir à des classes régulières » doit être l’une des priorités. Cet engagement ne pourrait se réaliser sans l’abolition des écoles privées, dit-elle. Claude Lessard miserait sur l’éducation des parents, expliquant que la stratégie individualiste prônée actuellement, elle mène à un cul-de-sac. « Il faut que les parents soient un peu mieux sensibilisés à un certain nombre d’enjeux », conclut-il.